Bien
des années ont passé...
La
crise, contrairement à ce que Candide avait imaginé – et surtout
calculé, – a duré,
longuement duré, très
longuement duré, au point qu'il s'est imaginé que l'Europe, sa
belle Europe, n'y survivrait jamais...
L'Europe
telle qu'il l'avait connue, il est vrai, s'est effondrée : la
Commission européenne n'est plus, le grand marché transatlantique
n'est pas advenu, et l'adoption de l'anglais, dans chacun des pays
qui la compose, n'a pas même été entrevu.
Les
premiers temps, cela l'a fort gêné, car ce en quoi depuis le début,
il avait cru, s'est érodé, avant de s'affaisser, et enfin de
s'écrouler. L'euro en tant que monnaie unique, en effet, ou le
dollar en tant que monnaie hégémonique, désormais, appartiennent
au passé : ils ont subi l'épreuve de la réalité. Ils ont
subi l'épreuve de la diversité des nations, en Europe, ainsi que de
la richesse des civilisations, dans le monde. Et Candide, le bon
Candide, n'a pu que l'observer : ses yeux se sont dessillés.
Il
est vrai que depuis, il a perçu qu'au niveau d'un État, ou même
d'une entreprise, le Français, anarchiste qu'il est, ne peut être
dirigé comme un Japonais – il ne peut l'être non plus comme un
Néerlandais, comme un Allemand ou comme un Anglais : il n'est
pas qu'un homme, il est un homme particulier :
il a sa spécificité.
La
doctrine de l'homme universel, du reste, à laquelle il croyait, pour
lui ainsi que pour les Européens, en ce jour, n'est plus même un
souvenir : elle a été oubliée – et cela n'est pas sans
incidence, il faut l'avouer, sur les travaux de ceux qui, analysant
les années 1700 en Europe, désormais, n'y voient qu'un « siècle
des Ténèbres ».
Toujours
est-il que Candide, qui a vécu l'effondrement, a connu dans cette
épreuve, dans cette singulière épreuve, ce que son éducation, ce
que sa formation, et ce que les hiérarques de la nation,
jusqu'alors, lui avaient interdit d'apprendre : l'Europe n'est
pas une construction politique,
c'est une civilisation.
Il
est vrai que Candide, depuis vingt ans, s'est instruit
individuellement : il a lu Renan, il sait ce qu'est une nation ;
il a lu Spengler, il sait ce qu'est une civilisation ; il
apprécie Braudel, et la longue durée ; et la philosophie, les
sciences, l'art, dans son esprit, n'étant plus attachés avant
tout à la modernité, ne sont
plus cloisonnés comme ils l'avaient toujours été.
Il a
compris que l'économie, qui est certes une discipline féconde, ne
peut assujettir la politique ; il a compris que le rôle d'une
politique est la réalisation d'un destin ; il a compris que ce
destin est lié, conjointement, au caractère des populations qu'il
soumet, et à l'esprit des civilisations qu'il ordonne.
« La
France est ma nation, l'Europe est ma civilisation », dit-il
d'ailleurs souvent, aujourd'hui, en ce XXIe
siècle.
Ces
mots, il les répète à ses trois enfants, qui ont respectivement
quatorze, douze et neuf ans, et qu'ainsi que sa femme, Cunégonde, il
chérit ; il leur rappelle souvent, au demeurant, l'ayant
compris, ce fait qui maintenant, sur le continent, est devenu une
évidence : la Première Guerre mondiale a éteint l'Europe, la
seconde l'a mise sous tutelle ; deux civilisations étrangères,
celles de la Russie et des États-Unis, se la sont en effet
partagées, et elle n'y a pas résisté ; mais depuis, des
années se sont écoulées, et les Européens se sont réveillés.
Candide,
s'il est marié, aujourd'hui, ne vit nullement reclus, et pour la
France et l'Europe, il continue d'œuvrer : en compagnie de
plusieurs de ses amis, polytechniciens, énarques, ou même
normaliens, depuis six mois, aux côtés d'ingénieurs, d'historiens,
mais également d'ouvriers, il participe à des fouilles
archéologiques, en Grèce, où ayant aidé à reconstruire le pays,
que la crise a ravagé, il concourt à retrouver certaines de ses
racines, qui sont aussi communes aux Allemands, aux Italiens, aux
Espagnols, et d'une certaine manière aux Anglais.
Car
Candide l'a compris : Il faut cultiver notre jardin.
Il
faut cultiver notre jardin, car nos nations ont besoin d'individus,
d'esprits, de caractères ; et il faut cultiver le jardin de
notre civilisation, car la crise, au début de ce siècle, nous l'a
enseigné :
Nous
avons besoin non de l'Union européenne, mais de l'union des
Européens.
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