dimanche 13 janvier 2013

Épilogue


Bien des années ont passé...
La crise, contrairement à ce que Candide avait imaginé – et surtout calculé, – a duré, longuement duré, très longuement duré, au point qu'il s'est imaginé que l'Europe, sa belle Europe, n'y survivrait jamais...
L'Europe telle qu'il l'avait connue, il est vrai, s'est effondrée : la Commission européenne n'est plus, le grand marché transatlantique n'est pas advenu, et l'adoption de l'anglais, dans chacun des pays qui la compose, n'a pas même été entrevu.
Les premiers temps, cela l'a fort gêné, car ce en quoi depuis le début, il avait cru, s'est érodé, avant de s'affaisser, et enfin de s'écrouler. L'euro en tant que monnaie unique, en effet, ou le dollar en tant que monnaie hégémonique, désormais, appartiennent au passé : ils ont subi l'épreuve de la réalité. Ils ont subi l'épreuve de la diversité des nations, en Europe, ainsi que de la richesse des civilisations, dans le monde. Et Candide, le bon Candide, n'a pu que l'observer : ses yeux se sont dessillés.
Il est vrai que depuis, il a perçu qu'au niveau d'un État, ou même d'une entreprise, le Français, anarchiste qu'il est, ne peut être dirigé comme un Japonais – il ne peut l'être non plus comme un Néerlandais, comme un Allemand ou comme un Anglais : il n'est pas qu'un homme, il est un homme particulier : il a sa spécificité.
La doctrine de l'homme universel, du reste, à laquelle il croyait, pour lui ainsi que pour les Européens, en ce jour, n'est plus même un souvenir : elle a été oubliée – et cela n'est pas sans incidence, il faut l'avouer, sur les travaux de ceux qui, analysant les années 1700 en Europe, désormais, n'y voient qu'un « siècle des Ténèbres ».
Toujours est-il que Candide, qui a vécu l'effondrement, a connu dans cette épreuve, dans cette singulière épreuve, ce que son éducation, ce que sa formation, et ce que les hiérarques de la nation, jusqu'alors, lui avaient interdit d'apprendre : l'Europe n'est pas une construction politique, c'est une civilisation.
Il est vrai que Candide, depuis vingt ans, s'est instruit individuellement : il a lu Renan, il sait ce qu'est une nation ; il a lu Spengler, il sait ce qu'est une civilisation ; il apprécie Braudel, et la longue durée ; et la philosophie, les sciences, l'art, dans son esprit, n'étant plus attachés avant tout à la modernité, ne sont plus cloisonnés comme ils l'avaient toujours été.
Il a compris que l'économie, qui est certes une discipline féconde, ne peut assujettir la politique ; il a compris que le rôle d'une politique est la réalisation d'un destin ; il a compris que ce destin est lié, conjointement, au caractère des populations qu'il soumet, et à l'esprit des civilisations qu'il ordonne.
« La France est ma nation, l'Europe est ma civilisation », dit-il d'ailleurs souvent, aujourd'hui, en ce XXIe siècle.
Ces mots, il les répète à ses trois enfants, qui ont respectivement quatorze, douze et neuf ans, et qu'ainsi que sa femme, Cunégonde, il chérit ; il leur rappelle souvent, au demeurant, l'ayant compris, ce fait qui maintenant, sur le continent, est devenu une évidence : la Première Guerre mondiale a éteint l'Europe, la seconde l'a mise sous tutelle ; deux civilisations étrangères, celles de la Russie et des États-Unis, se la sont en effet partagées, et elle n'y a pas résisté ; mais depuis, des années se sont écoulées, et les Européens se sont réveillés.
Candide, s'il est marié, aujourd'hui, ne vit nullement reclus, et pour la France et l'Europe, il continue d'œuvrer : en compagnie de plusieurs de ses amis, polytechniciens, énarques, ou même normaliens, depuis six mois, aux côtés d'ingénieurs, d'historiens, mais également d'ouvriers, il participe à des fouilles archéologiques, en Grèce, où ayant aidé à reconstruire le pays, que la crise a ravagé, il concourt à retrouver certaines de ses racines, qui sont aussi communes aux Allemands, aux Italiens, aux Espagnols, et d'une certaine manière aux Anglais.
Car Candide l'a compris : Il faut cultiver notre jardin.
Il faut cultiver notre jardin, car nos nations ont besoin d'individus, d'esprits, de caractères ; et il faut cultiver le jardin de notre civilisation, car la crise, au début de ce siècle, nous l'a enseigné :
Nous avons besoin non de l'Union européenne, mais de l'union des Européens.

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