« Je
pense avec ma bite. »
La
voix de Dominique Strauss-Kahn, sérieuse, venait de retentir ;
il se tenait debout, les mains dans les poches, les pieds légèrement
écartés, et la tête droite, la mine assurée, il avait répété
cette phrase, qui résumait sa philosophie de vie :
« Je
pense avec ma bite. »
Candide
était heureux, sincèrement heureux de discuter avec cet homme, car
presque autant que Barack Obama, il l'estimait ; il l'avait
d'ailleurs ajouté à ses amis Facebook. Mais cette phrase, tout de
même, remettait en cause l'égalité homme-femme !...
Elle était rétrograde !
Et même archaïque !...
– Elle était typique du logiciel machiste !...
Si
bien que Candide, ulcéré, s'était récrié :
« Mais...
mais Monsieur Strauss-Kahn, comment pouvez-vous dire
cela ?... Comment
pouvez-vous tenir des propos aussi masculino-centrés ?...
Vous êtes pourtant un homme de gauche !... »
Son
interlocuteur, souriant, mais souriant cyniquement,
s'était alors avancé vers lui ; et comme s'il se fût adressé
à un enfant, il lui avait répondu :
« Voyons,
Candide, il s'agissait d'une vue de l'esprit... Car j'aime
naturellement les femmes, toutes
les femmes, et je ne peux donc les mépriser (je travaille d'ailleurs
personnellement à
leur émancipation) ; mais sur le marché de l'amour, comme sur
celui de la vie en général, j'agis en homme. Penses-tu donc que je
sois... anormal ?...
–
Je... euh... n... non, bien sûr, m... mais... »
Candide,
un instant, était resté interloqué : cette interrogation le
gênait. Car il savait que répondre par la positive, exprimer que
Dominique Strauss-Kahn était anormal,
et même le penser, oui, simplement le penser, c'était être
antisémite. Il en avait honte, et il en rougissait. Mais il devait
se dédouaner : il devait se justifier.
Quoi
qu'il en soit, il ne pouvait demeurer muet, car ce que le grand
homme, l'instant d'avant, venait de prononcer, ce « Je pense
avec ma bite », l'effarait : il ne pouvait l'accepter !
Si bien que Candide, qui était rationnel, avait usé de son esprit :
et il avait songé qu'étant économiste, forcément, son
interlocuteur savait ce qu'il disait.
Il
avait alors réfléchi, et il s'était répété, en lui, la phrase
qu'on lui avait posée : « cet homme, Dominique
Strauss-Kahn, était-il anormal ? »
Il avait réfléchi, sérieusement réfléchi, et après un court
silence, il s'était exclamé :
« Mais
bien sûr que non ! Vous êtes un homme normal !
Car en agissant ainsi, vous faites fructifier votre capital
humain ! »
Candide
s'était d'ailleurs souvenu, lui aussi, à quel point il était un
homme normal.
Mais
tandis que DSK, face à
lui, s'enthousiasmait de la vigueur de son esprit, peu assuré –
car il était impressionné, – notre homme, craignant les
réprimandes, avait hasardé la question suivante :
« Mais...
mais Monsieur Strauss-Kahn, vous qui pensez ainsi... vous pourriez
être poussé... à... euh... disons... à vous retrouver dans des
situations compromettantes... Et cela... pourrait nuire à votre
carrière politique... Car au PS, qui est pourtant le seul parti où
les hommes ont des idées saines (car ils ne sont pas de droite),
certains pourraient en profiter... disons... pour vous évincer lors
des prochaines présidentielles ?... »
L'ex-ministre,
comme par réflexe, avait alors éclaté de rire.
Mais
sans tarder, il avait retrouvé son sérieux ; et d'une voix
vibrante, il lui avait répondu :
« Mais
Candide, je suis l'espoir de la gauche !
Le parti socialiste, qui défend le progrès, ne peut se passer de
moi ! Car je suis l'homme de l'espoir,
de l'avenir, de
l'innovation ! Et
sans moi, les détenteurs de stock options
devraient encore payer des impôts exorbitants !... Ce serait
effroyable !... Car cela découragerait les
meilleurs !... Non,
Candide, rassure-toi, il n'y a aucune chance que je sois inquiété.
– J'en ai d'ailleurs discuté, hier au téléphone, avec Jack Lang,
qui connaît bien le sujet. »
Candide,
lui qui un bref instant, avait eu des doutes, s'était ainsi
rassuré : cet homme, Dominique Strauss-Kahn, savait
ce qu'il faisait ; du
reste, à sa manière de penser, on sentait qu'il était économiste,
car il prenait des risques,
et les prises de risques, dans le système capitaliste, étaient
toujours récompensées.
Depuis
deux mois, Candide, qui avait quitté cette délicieuse banque,
Goldman Sachs, où il monitorait les activités de marché,
œuvrait pour le Fonds Monétaire International, cette belle
institution, qui avait pour occupation, en tout temps, en tout lieu,
de faire le bien des hommes. Et en deux mois, en seulement
deux mois, il avait eu le temps de s'imposer ! Car
indéniablement, il maîtrisait la Théorie de l'équilibre général,
mais également les fonctions d'utilité CARA, les lagrangiens et les
hamiltoniens, et depuis son arrivée, de nombreuses fois, son
intelligence avait fait le bonheur de ses supérieurs, et plus
généralement du FMI, qui travaillait au retour de la
croissance.
En
2009, en effet, suite à l'effondrement de Lehman Brothers, à la
faillite d'AIG, et à la « contamination de l'économie réelle
par la crise », une récession était intervenue, une nette
récession, une franche
récession, partout dans le monde ou presque, qui avait effrayé
l'ensemble de la population. Car perdre 2 points de PIB, c'était une
chose effroyable ! C'était encore pire que d'avoir un président
de droite !
Mais
dans le plus beau des pays du monde, aux États-Unis, le président
était de gauche : il était démocrate ; et par ce fait,
les choses s'étaient améliorées : la crise était d'ailleurs
« derrière nous », pour la troisième fois – et cette
fois-ci serait la bonne ! car les médias le disaient ! et
les médias disent toujours la vérité !
Quoi
qu'il en soit, en résolvant la crise, les États s'étaient
endettés. Et en s'endettant, ils avaient révélé que jusqu'en
2008, ils avaient « vécu au-dessus de leurs moyens », en
« dépensant plus qu'ils ne gagnaient », ce qui n'était
pas « responsable », car en « laissant augmenter le
ratio de leur dette sur leur PIB », ils « perdaient de la
crédibilité sur les marchés ». – Grâce à de bonnes
mesures, il est vrai, les banques avaient été sauvées, et ainsi,
l'économie avait été relancée ; mais dorénavant, il allait
falloir « faire des efforts », c'est-à-dire
« réformer », pour « présenter des budgets
équilibrés ».
C'était
d'ailleurs le sens d'une note, une belle note que notre homme avait
produite, qui s'inquiétait de la solvabilité des États, notamment
en Europe, et qui rappelait que si d'ici un an, rien n'était fait,
« les marchés sanctionneraient les mauvais élèves ».
Mais
si au FMI, il était apprécié, c'était parce que Candide, dès le
début, avait mis à profit ses compétences : lui qui ayant
œuvré chez Lehman Brothers, ainsi que chez Goldman Sachs,
connaissait les réalités du marché,
il avait été requis, un mois durant, avec l'équipe qu'il encadrait
– car dorénavant, il était boss :
il manageait, – pour
déterminer si oui ou non, certaines innovations
financières, concrètement,
devaient être régulées. Ainsi s'était-il intéressé,
particulièrement, au « trading algorithmique » et aux
« dark pools ».
Le
« trading algorithmique »,
qui incluait le « trading
haute fréquence », permettait, moyennant le développement
préalable de codes informatiques, fondés sur des algorithmes,
d'expédier automatiquement des ordres, et dès lors de réaliser des
transactions, sans passer par des intervenants humains ; les
« dark pools », pour leur part, permettaient de traiter,
de façon anonyme, sans passer par les canaux habituels, en
particulier par les bourses réglementées, n'importe quel produit
financier ; ces deux principes, Candide les avait étudiés, il
les avait fervemment étudiés, et il les avait d'autant mieux
analysés que depuis des années, il les connaissait.
Du
temps où à Bruxelles, en effet, il œuvrait à la DG Concurrence,
il avait eu le loisir, travaillant sur des instruments financiers, de
consulter la « Directive concernant les marchés d'instruments
financiers », qui était entrée en application en novembre
2007, et qui prévoyait, entre autres, l'autorisation des « dark
pools » ; quant au « trading
algorithmique », dès 2004, par ses « camarades de
promotion », qui ainsi que lui, travaillaient pour
l'avenir de l'humanité, il en
avait entendu parler : ils lui en avaient expliqué les
principes, et il les avait approuvés, car ils respectaient la
concurrence libre et non faussée ; ces deux bonnes choses,
ainsi, le « trading
algorithmique » et les « dark pools », sitôt qu'il
les avait découverts, l'avaient enthousiasmé, si bien que lorsqu'au
FMI, en compagnie de son équipe, ou plus exactement de son team,
on lui avait demandé de les étudier, pour savoir s'il fallait
réglementer ce qui sur les marchés, s'y rattachait, il avait eu peu
de mal, extrêmement peu de mal à en prouver l'utilité. – Ces
deux principes, en effet, produisaient de la liquidité.
Il
le savait pourtant, en Amérique, en Europe et ailleurs, des voix
s'élevaient parfois : certains contestaient la réalité que
chaque jour, il défendait, et cela l'effrayait ; car il en
était même qui proposaient, à l'instar de ce qui aux États-Unis,
en 1933, avait été décidé, de séparer les activités bancaires,
en isolant les activités de banque d'investissement ! Les
fous !... C'était une hérésie économique !...
Car cela aurait diminué l'efficience des marchés !...
Mais en y réfléchissant, il avait compris que ces attaques, en
réalité, n'étaient pas le fait du hasard : il avait perçu
qu'une fois de plus, derrière ces propositions, se cachaient des
mouvements d'extrême-droite, qui complotaient. Car tous ces gens,
d'une même voix, faisaient référence à 1933, et 1933, c'était
l'année où Hitler, en Allemagne, était arrivé au pouvoir !
Quoi
qu'il en soit, nous l'avons vu, Candide, dès le début, avait mis à
profit ses compétences ; et lui qui à n'en pas douter, était
un véritable esprit universel
– il avait en effet une formation d'économiste, – il n'entendait
nullement se cantonner aux questions financières, ou à tout le
moins aux questions purement
financières, sur lesquelles le premier mois, on lui avait demandé
de se focuser.
L'équipe
qu'il encadrait, du reste, était une équipe polyvalente :
c'était une équipe de choc, une équipe « multi-forces »,
et qui était composée, pour la majorité, d'individus formés dans
des universités américaines – des individus qui dès lors,
savaient parfaitement ce qu'ils faisaient.
On
avait demandé à Candide, sachant la situation, et les prêts que le
FMI, dans le futur, devrait peut-être accorder, une analyse en
profondeur de la situation, qui étaierait la note qu'un peu plus
tôt, au sujet des États, il avait publiée, et qui « de façon
pragmatique », « sans a priori
idéologique », « donnerait une bonne vision d'ensemble
de l'économie mondiale ».
Si
bien qu'avec Giulio, avec Laureen, avec Aziz et avec tous les autres,
il s'était mis à la tâche, immédiatement, et sérieusement.
Eux
qui naturellement, ayant été bien formés, connaissaient les
ressorts de l'économie, ils savaient qu'en la matière, tout est
modélisable, et que les modèles employés ici, au FMI, avaient été
testés, soigneusement testés, et qu'ils étaient toujours « en
accord avec la réalité ». Ainsi avaient-ils pris pour base,
pour ce travail, le modèle Liberty 2.02,
qui était plus performant que Freedom 3.2,
et qu'ils avaient retouché, intelligemment, pour insérer des
boucles de rétroaction, ou plus exactement des loops
de feedback, qui
rendraient mieux compte des « dernières tendances
macroéconomiques », en intégrant les « dernières
innovations financières », qui « contribuaient à
l'amélioration des échanges ». Bien sûr, cet excellent
modèle, qui était réaliste, ne prévoyait nullement le défaut
d’États, qui était impossible, ni la rupture d'unions monétaires,
qui n'était qu'une vue de l'esprit. C'est que ce modèle, à tous
les égards, s'appuyait sur l'histoire ! Il était benchmarké !
Car pour estimer la plupart des paramètres, de longs calculs
économétriques et statistiques, préalablement, étaient launchés,
et les outputs qui en
étaient issuées,
qu'il s'agît de multiplicateurs, d'indicateurs de compétitivité ou
de facteurs d'élasticité, ne pouvaient être discutés ! Ils
intégraient toute la complexité de l'histoire ! – Ils
s'appuyaient, en effet, sur les observations des six dernières
années.
Grâce
à toutes ces données, qui étaient « exhaustives »,
Candide le savait, ils prévoiraient le futur ; et c'est ce
qu'ils firent : de ces profonds calculs, qui traduisaient ce qui
forcément, se réaliserait, ils tirèrent les informations
suivantes :
–
la notation AAA des plus grands États, en particulier des
États-Unis, n'était pas menacée ;
–
la croissance, qui était enfin revenue, serait bientôt soutenue,
car même si çà et là, certains effets de la crise subsistaient,
par définition, une crise ne pouvait pas durer ;
–
pour assurer que les deux premiers points se matérialisassent,
partout, et immédiatement, en particulier en France, il fallait
« réformer le marché du travail », en « réduisant
le train de vie de l’État », mais en continuant à sauver
les banques, car elles finançaient l'économie.
Candide
s'était rappelé qu'en fin de compte, Keynes avait du bon, car
mathématiquement, il avait démontré que si l’État existait,
c'était pour éviter les récessions, c'est-à-dire les déflations,
qui objectivement, étaient ce qu'il y avait de pire sur terre. Ainsi
avait-il défendu, d'abord à contrecœur, puis fervemment, les
politiques de relance ; mais l'économie ayant été relancée,
désormais, il fallait la laisser tourner seule, sans intervention,
et surtout, il fallait rembourser les dettes qui à cette occasion,
avaient été contractées.
Le
document de synthèse que Candide et son équipe, sur le sujet,
avaient concocté, était tout à fait clair : les niveaux
d'endettement des pays européens, et en particulier de la Grèce, de
l'Italie, de la Belgique et de la France, étaient « excessifs »,
car dans chacun de ces vieux États, qui avaient jusqu'ici « traîné
des pieds », qui ne s'étaient pas « modernisés »,
la dette publique, tout de même, dépassait les 80 % du PIB !
Il fallait donc absolument, pour « retrouver le chemin de la
croissance », privatiser les services publics, supprimer la
Sécurité sociale, augmenter l'âge de départ de la retraite,
réduire le SMIC, et diminuer le nombre de fonctionnaires. –
Candide, lui qui était de gauche, aurait bien ajouté que
naturellement, il fallait légaliser la consommation de haschisch,
mais ce n'était malheureusement pas le sujet de l'étude.
Toujours
est-il que l'étude, qui était précise, qui était factuelle, qui
était rationnelle,
plut fortement à la hiérarchie de Candide, qui sut se le rappeler
plus tard, au milieu de l'année 2010, comme nous le verrons bientôt.
Mais
avant cette date, aux States,
il s'était passé des choses. Car en octobre de l'année précédente,
en 2009, sans qu'il s'y fût attendu, Candide avait eu la joie,
l'immense joie d'apprendre un fait qui dans l'éternité, ne pourrait
que résonner : Barack Obama, ce grand homme, avait reçu le
prix Nobel de la paix. Cela était touchant !
et même émouvant !
Car ce prix Nobel de la paix, pour une fois, était décerné à un
« black » !
Et à un « black »
président des États-Unis ! C'était donc une garantie que ce
pays, qui absolument toujours, depuis ses origines, avait défendu la paix dans le monde, poursuivrait cette action si noble ! –
Candide, qui en avait été comblé, pour mieux le célébrer, avait
changé son statut Facebook.
Mais
s'il était un moyen par lequel, en ces journées, sans réserve, il
s'était épanché, c'était un site Internet plus « neuf »,
plus « vif », plus « jeune », qui « respirait
la sincérité » ; ce site, c'était Twitter.
Ce
« service de microblogging », qui permettait aux
individus de « partager ce qui les faisait vibrer » (par
exemple un livre d'Alain Duhamel), était une « authentique
révolution », mais cette révolution, qui était informatique,
était également « culturelle », « sociale »,
et « politique » : elle était en effet « 100
% humaine ». C'est que la limite imposée à la taille des
messages, 140 caractères, permettait de formuler des idées
détaillées ; et si malheureusement, créé en 2006, il n'avait
pu prendre son essor aussi rapidement que Facebook, en cette année
2009, aux États-Unis en particulier, il s'était imposé comme « un
acteur avec lequel il fallait compter ».
Candide,
qui n'était pas « en retard », car il était « ouvert
à la modernité », se devait de l'utiliser ; et c'est ce
qu'il faisait. Ainsi passa-t-il une semaine, suite à l'annonce du
comité Nobel – et à
l'aide de son iPhone, qui lui semblait-il, avait été conçu dans ce
but unique, – à y
« twitter », à y « retwitter », et à y
utiliser tous les « hashtags » qui ces derniers jours,
avaient « méchamment buzzé » :
« #NobelPrize:
Democracy is #Obama, #Obama is peace – Vive
#Obama ! vive la
paix ! vive la démocratie en Amérique ! », avait-il par
exemple inscrit, en référence à ce beau livre, De la
démocratie en Amérique, dont
il aimait beaucoup l'auteur. –
« Cela fera plaisir à Alain Minc », s'était-il dit
alors.
Mais
certains utilisateurs, malheureusement, étaient singulièrement
bornés : ceux-là le critiquaient ; et cela l’écœurait ;
car lui qui aimait les débats d'idées, il savait ce qui derrière
ces critiques, se terrait ; si bien qu'à l'occasion, il s'était
emporté :
« @Racists :
How come you criticize #Obama?!? You must belong to the Ku Klux Klan!
You anti-Semite! »,
avait-il ainsi envoyé, exténué, deux jours après que le président
eut été récompensé. Car à n'en pas douter, ces personnes qui le
critiquaient, contrairement à lui, n'étaient pas tolérantes !
Elles faisaient des amalgames
racistes, qui donnaient
la nausée ! – Candide,
qui était démocrate, s'il en eût eu le pouvoir, les eût fait
enfermer.
Par
chance, ces énergumènes étaient rares, extrêmement rares, si bien
que le désagrément, pour lui, ne dura guère longtemps, et que
passionnément, des jours durant, il put s'épancher :
« #Obama
is change, #Obama is peace ; the #US always changes for good –
this time it changes for peace »,
avait-il ainsi twitté.
« RT
@SégolèneRoyal : Barack Obama est notre désir d'avenir à
tous », avait-il retwitté.
« @ValéryGiscarddEstaing:
L'#Europe, il est vrai, a encore beaucoup a apprendre des #US. Car
il n'y a jamais eu de président noir en #France », avait-il
aussi inscrit, en réponse à un twit de l'ex-président français,
qui était décidément « in »
– Candide avait même
entendu dire qu'il possédait un iPhone.
Quoi
qu'il en soit, le prix Nobel de la paix, cette année l'illustrait,
toujours, absolument toujours, était attribué en fonction non de
fantasmes, mais de faits : Obama apportait le changement,
c'était une certitude, si bien que par avance, il convenait de le
récompenser.
Deux
ans plus tôt, d'ailleurs, ce prix avait été remis, conjointement,
à Al Gore et au GIEC, le « Groupe d'experts
intergouvernemental sur l'évolution du climat », qui « sans
a priori », « de façon scientifique »,
« critiquait l'action dévastatrice de l'homme ».
Auparavant déjà, Candide, qui était concerné,
défendait ce que défendait Al Gore : il savait
que le réchauffement climatique, qui était indéniable, était
imputable à l'homme, rien qu'à l'homme, uniquement à l'homme, et
au dioxyde de carbone qu'il émettait. Mais s'il avait été
convaincu, c'était également en raison d'un fait, qui était
primordial, et que son vieux maître, le professeur Pan, lorsqu'il
vivait encore à Paris, lui avait expliqué. En effet, Candide, qui
était rationnel,
avait émis l'interrogation suivante :
« Mon
maître, mon bon maître, Monsieur Pan, je comprends que sur le
sujet, la science a déjà tranché : il n'est plus temps de
discuter. Mais... si nous voulons vraiment tackler cette
issue, nous risquons de
devoir... consommer moins... Et par conséquent... de faire diminuer
le PIB ?...
« Vous
rendez-vous compte, faire diminuer
le PIB ?!?... Ce
serait affreux !!!... »
Le
professeur Pan, au son de ces mots, avait alors éclaté de rire, un
rire qui de prime abord, avait décontenancé notre homme, Candide,
qui ne comprenait pas, mais qui avait senti que son maître, son bon
maître, à cette question, avait une belle réponse, une grande
réponse, une excellente réponse ; il avait eu une réponse
imparable, en effet, et il l'avait ainsi formulée :
« Mais
Candide, nous ne parlons absolument pas de faire diminuer le PIB !...
Bien au contraire !... Car il s'agit en réalité, pour nos
économies fatiguées,
de se remonter, en
trouvant un relais de croissance... »
L'attention
de Candide, suite à ces mots, avait redoublé : sa curiosité
était attisée : il en avait cessé de respirer ; c'est
qu'il cherchait une explication à ces termes qui le passionnaient,
et même qui l'emportaient, au point qu'un petit sourire, au coin de
ses lèvres, s'était dessiné. Et que passionné qu'il était, sans
tarder, il avait relancé l'échange :
« Vous
voulez dire que... de cette manière, nous pouvons relancer la
consommation ?...
–
C'est exactement cela, Candide ! Tu es décidément brillant !
Car vois-tu, en rappelant à quel point la Terre, actuellement,
souffre de la pollution, et particulièrement des émissions de CO2,
nous soulignons le besoin, l'impérieux besoin qu'ont les gens,
aujourd'hui, de se rééquiper, afin de sauvegarder la
planète. Cela a le mérite,
bien sûr, d'accélérer le remplacement du matériel électroménager,
et de permettre aux entreprises de restaurer leurs marges. Mais cela
a le mérite, également, de créer de nouveaux marchés,
et donc de retrouver
la croissance.
–
Mais... mais c'est génial !... Car les énergies renouvelables,
en effet, tout en apportant un bien-être incontestable à l'homme,
vont permettre de créer de la valeur ajoutée !...
et les produits bio, qui sont si sains pour le corps, vont également
apporter un grand bol d'air frais à l'économie !... »
« Quelle
excellente idée, vraiment ! » avait-il même ajouté en
lui, alors que son professeur était parti. « Elle est si
excellente que je suis sûr, absolument sûr que c'est un
polytechnicien qui y a songé ! »
À
compter de ce jour, Candide, qui avait compris les ressorts
économiques (c'est-à-dire scientifiques) du développement durable,
s'était montré un défenseur acharné de ces principes
écologiques, qui étaient si
vertueux, si sains, si purs, qu'ils illustraient la marche du
progrès.
Mais
en novembre 2009, au moment où le plus excellent président des
États-Unis, Barack Obama, recevait le prix Nobel de la paix, des
individus avaient divulgué, sur Internet, le contenu d'échanges
privés au sein de la communauté scientifique,
et qui montraient qu'en matière de sciences climatiques, certains
auteurs s'arrangeaient, que des publications contradictoires étaient
empêchées, et que le débat, d'une manière générale, était
profondément biaisé ; le Climategate,
ainsi, avait débuté.
Candide,
qui savait que le
réchauffement climatique, qui se poursuivait, était lié à
l'homme, uniquement à l'homme (car cela avait été prouvé),
s'était alors indigné, fortement indigné que dans la presse, aux
États-Unis, on en eût pu parler :
« Mais
ces gens doutent !...
Ils sont insensés !...
car douter, cela n'est pas scientifique !...
Ce ne sont pas là des journalistes,
mais des complotistes !...
de dangereux
complotistes !...
ce qu'ils font est
dangereux !...
ils jouent avec le feu !...
Car c'est ainsi qu'Hitler, dans les années 30, est arrivé au
pouvoir !... Sans compter que ces mails,
ces milliers de mails,
ont été piratés !... Ce sont des méthodes fascistes !...
Ce sont des méthodes totalitaires,
qui rappellent Auschwitz et Dachau !... – J'espère que Cali,
au moins, écrira une chanson à ce sujet... j'ai tellement aimé son
dernier album, L'Espoir,
où il critique la guerre... »
Mais
Candide, lui qui pourtant, d'une manière générale, savait que la
France était « en retard », qu'elle « refusait de
voir la réalité », et qu'elle « pensait encore qu'elle
pouvait avoir raison seule », « face au monde entier »,
alors qu'elle n'était, d'un point de vue objectif, qu'une
« puissance minuscule » (elle n'était, il est vrai,que
la cinquième économie mondiale, elle disposait de la deuxième zone
économique exclusive, à quasi-égalité avec les États-Unis, elle
parlait la deuxième langue en termes de diffusion, elle possédait
l'arme nucléaire, et elle faisait partie du Conseil de sécurité de
l'ONU), Candide, donc, avait été heureux d'apprendre qu'au pays des
droits de l'homme, ces informations de caniveau
n'avaient pas été divulguées : la presse télévisée n'en
avait pas parlé, et les hommes politiques mêmes, qui aimaient les
ragots, ne l'avait pas évoquée – tout juste y avait-il eu,
çà et là, dans la presse papier, quelques sains individus pour
évoquer le sujet, et pour éclairer ceux qui les lisaient, leur
précisant qu'en réalité, cela était prouvé, ceux qui avaient
piraté les serveurs des universités, une fois encore, étaient
« financés par l'industrie pétrolière ». – Au moins,
en France, les journalistes faisaient leur métier.
Toujours
est-il que Candide, aujourd'hui encore, lorsqu'il le pouvait, faisait
un geste pour la planète :
il avait acheté des ampoules électriques spéciales, des ampoules
basse consommation,
qui étaient moins énergivores ;
il ne laissait jamais sa télévision en veille ; il pratiquait
beaucoup le vélo ; et le chargeur de son iPhone, bien sûr,
fonctionnait à l'énergie solaire.
Dans
le même temps, il consommait bio :
il savait que par définition, cela était bon, et qu'agissant ainsi,
il faisait un geste citoyen ;
et si aux États-Unis, malheureusement, pour ce qui était de ces
choses, il était plus ardu de s'approvisionner, sans hésiter, il y
mettait les moyens : il était conscient, parfaitement conscient
que chaque jour, il agissait pour le bien-être de l'humanité, et il
entendait continuer, longtemps, très longtemps, à prodiguer ses
bienfaits. – Il avait d'ailleurs découvert, récemment, un
excellent produit pour lentilles de contact bio :
il en avait tout de suite acheté deux boîtes.
Si
à n'en pas douter, étant concerné,
il s'était engagé,
c'était parce qu'il était conscient de ce fait, qui était une
évidence : pour sortir de la crise, pour retrouver la
croissance, il était nécessaire
d'investir dans ce domaine, le développement durable, qui était en
plein essor. D'ailleurs, beaucoup l'avaient déjà compris : aux
États-Unis comme en Europe, c'est-à-dire partout dans le monde, en
la matière, les lobbys se multipliaient, ce qui illustrait que bien
sûr, ce secteur était dynamique,
et surtout innovant :
il s'agissait, cela avait été calculé, d'un véritable
secteur d'avenir.
Candide,
naturellement, était favorable à la construction de parcs
d'éoliennes, en particulier dans la Beauce, en Provence ou dans le
Cantal, où cela ne gênerait personne ; il était également
favorable à l'éolien offshore,
qui ne poserait aucun problème d'entretien, ainsi qu'à l'énergie
solaire, à l'énergie photovoltaïque, à la biomasse et à la
cogénération, car toutes ces énergies, qui étaient des « énergies
propres », par définition, n'avaient aucun revers : en
effet, elles n'étaient pas chères, elles permettaient de stimuler
l'activité industrielle française, et surtout, elles étaient
parfaitement renouvelables. Si bien que notre homme, sincèrement,
était heureux de voir qu'à ce jour, en France, les choses avaient
bien débuté : le président Sarkozy, qu'il n'aimait guère
parce qu'il était de droite – mais qui en matière économique, il
fallait l'avouer, avait de bonnes idées, – avait décidé
d'investir plusieurs milliards, immédiatement, dans ces « énergies
vertes », qui allaient « créer des milliers d'emplois »,
et qui seraient donc « entièrement bénéfiques à la
France ». Candide, bien sûr, avait eu des critiques à
l'esprit : il aurait bien investi, pour sa part, dans les
véhicules électriques, ainsi que dans la géothermie, ou dans
l'hydrolien ; mais lui qui à l'origine, s'était montré
« particulièrement inquiet », car « en raison de
l'urgence climatique », « on ne pouvait rester les bras
croisés », il avait pu noter qu'en Europe, enfin, les
véritables problèmes, ceux qui devaient « mobiliser les êtres
humains de tous les pays », avaient été identifiés, et que
les solutions à y apporter, progressivement, étaient mises en
œuvre.
Et
vraiment, cela lui avait mis du baume au cœur. Car cela lui avait
rappelé ce si grand projet, l'Europe, pour lequel il avait milité,
et qu'il avait abandonné, temporairement, pour maximiser son
utilité, mais qu'un beau jour, il retrouverait, pour le magnifier,
en lui donnant vraiment ses couleurs, des couleurs vivantes, des
couleurs éclatantes, celles de la concurrence libre et non faussée.
Face à ces dirigeants, qui étaient « visionnaires »,
car ils « investissaient dans les énergies du futur »,
il y avait certes des fous, des « climatosceptiques »,
qui ne croyaient pas à l'évidence du réchauffement climatique, ou
pire encore, des « décroissants », qui militaient pour
un développement différent, un développement qui passait, par
exemple, par une diminution du PIB (« Quels hommes arriérés ! »
s'était dit Candide à leur sujet, apprenant leur existence –
« Ils veulent donc revenir
au temps de Cro-Magnon ? ») ;
mais tous ces gens, qui étaient « clairement négationnistes »,
car ils « remettaient en cause les résultats de la science »
(ils remettaient en cause ce qui dans le passé, avait été prouvé,
d'un côté par la climatologie, de l'autre par l'économie),
n'étaient heureusement pas écoutés : ils étaient peu
nombreux, et ils étaient marginalisés – ils le méritaient.
Mais
aux États-Unis, notre homme était peiné de le voir, si Obama, ce
grand homme, avait soutenu les énergies renouvelables, et en particulier l'énergie solaire, ses adversaires, les Républicains,
qui étaient de droite, avaient « campé sur leurs positions »,
des positions idéologiques,
stériles, et surtout
dangereuses pour l'avenir de l'humanité ;
ainsi la réaction de l’État, face à « la catastrophe
écologique qui s'annonçait », avait-elle été bien faible,
et il s'en était attristé.
Mais
Candide, qui était vaillant, ne s'était pas découragé : il
s'était même impliqué, et cela l'avait exalté ; car le FMI,
qui s'était engagé pour le sauvetage de l'économie,
s'était aussi engagé pour la sauvegarde de la planète,
et lui qui était concerné,
il y avait pris part : il y avait plus que figuré – il s'y
était employé. À tous ses salariés, en effet, qu'ils fussent au
bas de l'échelle ou qu'ainsi que notre homme, ils eussent des
responsabilités, l'institution avait proposé, depuis le début de
l'année, de participer à des réunions, à des colloques, mais
également à des « journées de sensibilisation », et
surtout à des « journées d'action », et Candide, s'y
inscrivant, avait « activement lutté contre le réchauffement
climatique ».
Si
Candide s'était engagé, c'était parce qu'un jour, incidemment, il
avait reçu ce message (un message que par égard pour le lecteur,
nous avons traduit en français) :
En
2010, avec le FMI, devenez un Climate
Champion !
La
protection de l'environnement vous passionne ? Vous souhaitez
acquérir
une expertise,
et rejoindre un
véritable réseau d'ambassadeurs de l'environnement ?
Engagez-vous dans la lutte contre le réchauffement climatique, et
devenez un Climate
Champion !
Quelles
conditions faut-il remplir pour postuler ? Pour être
sélectionné, vous devez être impliqué, concrètement, dans un
projet local en faveur de l'environnement (par exemple participation
au tri des déchets dans votre service), et avoir une bonne
connaissance du marché des énergies renouvelables.
Les
futurs Climate
Champions,
bien sûr, doivent être capables de mobiliser d'autres collègues,
de les impliquer,
mais également faire preuve d'initiative, afin d'améliorer les
performances environnementales du FMI.
Mais
au juste, être Climate
Champion,
en quoi cela consiste-t-il ? Si votre candidature est retenue,
vous aurez la chance d'intégrer, durant une semaine, le
« Earthwatch-run
Climate Center »
du FMI, qui publie à chaque fin de mois « l'indice de santé
environnemental » de la planète, et qui en partenariat avec
des scientifiques, imagine des solutions innovantes pour répondre
à l'urgence écologique.
Ce
séjour au sein du « Climate
Center »
vous permettra d'approfondir vos connaissances sur le changement
climatique, et de participer à des missions d'envergure (comptage
des arbres dans une forêt, mesure des troncs...).
Le
meilleur des « Climate
Champions »,
celui qui se sera le plus investi, sera distingué de l'ordre de la
Légion
des Climate Champions,
et pourra s'entretenir durant une heure avec Barack Obama.
Candide
avait bien lu : avec Barack Obama ! Il avait toujours rêvé
de rencontrer Barack Obama !
Le
cœur de Candide, lorsqu'il avait lu ce nom, avait ainsi bondi,
sincèrement bondi, et lui qui passionnément, jusqu'à ce terme,
avait suivi le déroulement des phrases, il ne s'en était que plus
enthousiasmé :
« Un
Climate Champion !...
Je veux devenir un Climate Champion !... »
s'était-il répété en lui, fervemment, imaginant à quel point
vraiment, s'il était le meilleur des Climate Champions,
il pourrait contribuer à la fois, dans le monde, au retour de la
croissance, à la protection de l'environnement et à la réalisation
de ses rêves. Cela serait formidable !
Mais pour ce faire, il devait agir, et ne pas lésiner ; les
mots par quoi le message qu'il venait de lire, d'ailleurs, se
terminaient, par leurs douces sonorités, le lui avaient rappelé :
Ensemble,
adoptons des gestes responsables : n'imprimez ce message que si
nécessaire.
Le
FMI, jusqu'ici, s'était engagé à réduire sa consommation d'eau,
et à faire baisser sa facture d'électricité, dans le but de
« préserver l'humanité », et en particulier les pays du
Sud, qu'il avait tant aidés, et qui l'en remerciaient. L'institution
avait aussi décidé, pour ses machines à café, de remplacer les
gobelets qu'elle servait, qui étaient en plastique, par des gobelets
en carton recyclé. Et il arrivait même au fonds, généreux qu'il
était, de donner à des œuvres de charité – pourvu qu'elles
fussent « éco-responsables ».
De
toutes ces choses, Candide se félicitait ; mais s'il était une
idée, dans son esprit, qui avait germé, et qui l'animait, c'était
celle de devenir un homme engagé, un « Climate
Champion », qui lutterait
contre le réchauffement climatique et ses effets ; il y
travaillait.
Il
avait notamment œuvré, avec son équipe, ainsi qu'avec les autres
équipes qui officiaient à son étage, dans son bâtiment, à mettre
en commun les ramettes de papier, afin de limiter les allées et
venues des personnes, ce qui leur avait permis d'améliorer
leur bilan carbone.
Il
avait également suggéré, songeant à ce quoi au quotidien, nul
homme ne pouvait couper, et que l'on pouvait rendre plus sain,
plus juste,
plus responsable,
il avait également suggéré, donc, de s'approvisionner non en
papier hygiénique normal,
mais en papier hygiénique bio,
ce qui avait immédiatement été adopté – le papier qu'il
avait choisi, connaisseur qu'il était, avait même reçu un
écolabel.
Enfin,
lui qui était « conscient des gaspillages d'électricité »,
il avait fait installer, dans les couloirs de son étage, des
détecteurs de présence, afin que la lumière ne s'allumât que si,
de toute évidence, une personne était de passage ;
malheureusement, les détecteurs fonctionnaient mal, et il n'était
pas rare, sortant de l'ombre, quand les néons s'allumaient, qu'il se
retrouvât face à une personne qui ainsi que lui, ayant longuement
cherché à déclencher le mécanisme, agitait encore les bras en
l'air ; mais au moins Candide, notre bon Candide, qui aimait le
progrès, avait-il « fait un geste pour l'environnement » :
l'institution dans laquelle il œuvrait, en effet, avait « diminué
son empreinte écologique ».
Notre
homme, bien sûr, était conscient de ce qu'il faisait : en
luttant contre le réchauffement climatique, il prenait des
risques, car ses adversaires,
les climatosceptiques,
le lui feraient certainement payer. Mais Candide aimait les risques :
il aimait la politique : il était engagé ;
et cette fois encore, pour lui, le travail avait payé : le
dossier qu'il avait monté, étayé par ses initiatives, montrait
qu'il était un homme sérieux, un homme qui « comprenait les
priorités » ; aussi s'était-il vu décerner, sans
tarder, le titre de « Climate Champion »,
qu'il avait tant convoité.
« Je
suis un Climate Champion !...
Je suis un Climate Champion !... »
s'était-il répété, fervemment, presque aussi fier que le jour où
naguère, en 1999, il avait appris qu'il était reçu à
Polytechnique. Il était fier de ce titre, qu'il appréciait, mais
pour Candide, ce n'était qu'une étape : il entendait
rencontrer Barack Obama, et dans ce but, sérieusement, toujours
sérieusement, il devrait travailler.
Il
devrait travailler, en particulier,
au « Earthwatch-run
Climate Center »
du FMI ; et c'est ce qu'il fit. Dépêché dans une aile annexe
du bâtiment où professionnellement, il officiait, durant une
semaine, il reçut une formation intensive, une formation où il en
sut plus, nettement plus sur les résultats de la recherche :
grâce aux allocutions de plusieurs lobbyistes, qui d'un point de vue
intellectuel, étaient « parfaitement indépendants », il
sut qu'objectivement, si l'on ne faisait rien, d'ici la fin du
siècle, le niveau de la mer monterait de dix mètres, les
températures augmenteraient de huit degrés, et la quasi-totalité
des espèces animales disparaîtraient ; mais on ne pouvait le
divulguer au public, car cela l'effraierait, si bien que
progressivement, on le préparait.
« Mais
oui ! Il s'agit de faire
de la pédagogie ! »
s'était rappelé Candide. « Pour l'heure, nous leur montrons
les gestes
qui sauvent,
les réflexes-consommation,
ceux qui invitent à préférer le bio, qui est forcément plus sain,
plus doux, plus pur, et bientôt, continuant d'agir ainsi, même sans
le vouloir, automatiquement, les gens sauveront leur planète !
Vraiment, nous vivons dans le moins mauvais des mondes ! »
La
formation avait été intensive, extrêmement intensive, et elle
s'était terminée, le dimanche, par un « exercice pratique »,
à Central Park, où les « Climate
Champions »
du FMI, en milieu d'après-midi, s'étaient retrouvés, sur une
immense pelouse que tous ensemble, ils avaient dû nettoyer, en
ramassant les déchets. – Bien sûr, ordinairement, personne
n'était payé pour le faire, et ils apportaient ainsi à la ville,
ainsi qu'à ses habitants, « une véritable plus-value
écologique ».
Quoi
qu'il en soit, Candide, voyant ce qui s'annonçait, avait sauté de
joie :
« Génial ! »
s'était-il dit. « On dirait une séance de team
building !
Et plus précisément de team
cleaning ! Sauf
que cette fois, c'est à l'échelle de l'institution ! C'est une
véritable révolution ! »
Cette excursion,
néanmoins, pour Candide, ne fut pas une distraction :
car pour rencontrer Barack Obama, il fallait être celui, cet
après-midi, qui ramasserait le plus de déchets. Munis chacun d'une
pince et d'un sac, ainsi, ils devaient parcourir la pelouse, et
ramasser les papiers, les canettes, les bouchons, les bouteilles de
ketchup, les tubes de cheddar, les pots de beurre de cacao, les
cotons-tiges, les couches pour bébés, les préservatifs usagés,
les romans de Philippe Djian : ils devaient tout ramasser,
absolument tout ramasser, mais en tenant compte d'un fait : le
vainqueur serait non celui qui in
fine,
aurait le sac le plus lourd, mais celui qui à la fin des fins,
aurait accumulé le
plus grand nombre de déchets ;
et puisqu'il fallait privilégier le nombre,
et non le poids,
il fallait mettre en place, pour gagner, une
véritable stratégie.
Candide,
qui aimait la compétition, et qui aimait quand la compétition, au
surplus, faisait appel à l'esprit, apprenant la nature du défi,
s'était alors enthousiasmé :
« Amaaaaaaaaaaaaaazing ! »
s'était-il alors confié.
Mais
rapidement, le sifflet avait retenti : le départ avait été
donné. Ainsi que tous les autres, il était parti en courant, après
avoir repéré, au préalable, les points d'accumulation des déchets.
Aussi diligemment qu'il le pouvait, il foulait l'herbe, sautant comme
un cabri, et virevoltant lorsqu'il avait ramassé un déchet, avant
de l'expédier, avec la même célérité, dans le sac en plastique
qu'on lui avait confié, et qui tombant de sa main droite, semblait
flotter dans les airs ; régulièrement, il s'était heurté à
des personnes qui ainsi que lui, étaient « concernées par la
planète », ou même parfois, à des passants qui ahuris de la
scène, et surtout effrayés, tentaient de quitter les lieux ;
mais lui qui avait des objectifs, il était resté concentré :
il avait « poursuivi son effort » : il s'était
« donné à 100 % » ; et quand vint l'heure où ceux
qui les encadraient, et qui les arbitraient,
sifflèrent la fin de la compétition, il s'avéra que deux des
participants, Candide et Jack, qui était irlandais, étaient au
coude à coude. Un à un, les déchets avaient été retirés du sac
où chacun, individuellement, ils avaient déversé ce qu'ils avaient
ramassé, et un à un, ces déchets avaient été transférés dans
un sac plus grand, un sac commun, qui illustrait « les
résultats éblouissants de la journée ».
Un
à un, les déchets avaient ainsi été comptés, mais toujours, le
sac de Candide et celui de Jack, qui étaient singulièrement
remplis, avaient semblé pouvoir en livrer de nouveaux, au point que
dans l'assistance, parmi ceux qui avaient concouru, et qui avaient
manifestement perdu, on s'était enthousiasmé : car le suspense
était énorme ! À chaque déchet tiré d'un sac, d'ailleurs,
la voix accompagnant le geste, et précédant l'instant où il était
extrait, à l'unisson, les « Climate
Champions »
s'étaient manifestés ainsi :
« Oooooooooooooooooooh !
Thirty-three for Jack !... »
« Oooooooooooooooooooh !
Thirty-three for Candide !... »
« Oooooooooooooooooooh !
Thirty-four for Jack !... »
« Oooooooooooooooooooh !
Thirty-four for Candide !...
Mais
après dix minutes, et après un fervent « Oooooooooooooooooooh !
Fifty-one for Jack !... »,
l'on n'entendit qu'un « Ooooooo...
Oh nooooooo ! That's all for Candide ! »
Candide avait ainsi perdu : il en était attristé, et même
sérieusement attristé ; car il s'avéra qu'en définitive,
Jack n'avait récolté que deux papiers de plus que lui, et qu'il
avait ainsi failli gagner ; mais surtout, il ne rencontrerait
pas Barack Obama, et il le regretterait toute sa vie.
« C'est
pire encore que de perdre son iPhone », avait-il d'ailleurs
twitté.
La
pelouse sur laquelle ce jour, la compétition s'était déroulée,
quant à elle, avait été labourée : les courses croisées des
participants y avaient creusé des trous, et même parfois des
tranchées ; mais Candide le savait, c'était pour le bien-être
de l'humanité.
Notre
homme, qui avait été malheureux ce jour, n'y avait pourtant pas
tout perdu. Car lui qui véritablement, dans la compétition, avait
« tout donné », il avait impressionné une jeune femme,
Cuneghondhā
Ek-Sau-Dès, qui était indienne, et qui venant le réconforter,
voire le rassurer,
l'avait fait frémir...
Ainsi
que lui, elle travaillait au FMI, et elle suivait le développement,
en Inde, au Bengladesh et au Pakistan, du système du microcrédit,
qui était une chose formidable, car cela permettait aux plus
pauvres, oui, même aux plus pauvres des plus pauvres, de s'endetter.
Mais s'il était un sujet sur lequel, avec Candide, elle s'était
accordée, c'était celui de la « préservation des biotopes
dans les parcs urbains », qui la passionnait. Elle entendait
lutter, sincèrement, face à tout ce qui ici et ailleurs, mettait en
danger les poissons rouges, les moineaux et les écureuils, dans les
espaces verts des grandes villes. C'est donc naturellement que nos
deux âmes, nos deux « Climate
Champions »,
se découvrant à l'occasion de cette compétition, qui avait eu pour
effet de « rendre les lieux à la nature », s'étaient
immédiatement aimés. Il s'étaient aimés d'un amour vrai,
un amour juste,
un amour certes
sans écotaxes,
mais qui respectait
la biodiversité
Leur
aventure, qui était si intense, dura dix jours.
Le
temps avait passé, et si Candide, qui avait été malheureux un
jour, n'avait pu rencontrer Obama, il n'en avait nullement gardé de
rancœur pour l'écologie, cette discipline sérieuse, et
parfaitement scientifique, car elle « relancerait l'économie »,
en « créant de nouveaux débouchés ».
Mais
étrangement, il sentait de nouveau, disons... quelque attirance pour
l'Europe...
Il
ne pouvait l'expliquer, mais quoique de tout son cœur, depuis
toujours, il eût admiré les États-Unis, ce pays où les hommes
étaient plus libres, plus entreprenants, et plus respectueux
de la neutralité ricardienne,
ces derniers temps, les étoiles qu'il voyait briller, le soir,
au-dessus de Big Apple,
lorsqu'il les distinguait, immanquablement, lui rappelaient le vieux
continent...
Depuis
dix jours, d'ailleurs, lui que le développement durable touchait,
sur Twitter, il suivait Nicolas Hulot ;
et il était même ami, sur Facebook, avec Yann Arthus-Bertrand. Ces
gens étaient pourtant des Français !
des gens a priori arriérés !
Mais ils avaient « compris les vrais défis de l'humanité »,
et Candide, qui l'avait reconnu, avait d'autant plus senti à quel
point vraiment, de tout son cœur, il était passionné par l'Europe.
Mais
en Europe, justement, les mois qui suivirent, des problèmes se
manifestèrent. Au début du mois de mai 2010, la Grèce, manquant de
liquidités, fit s'inquiéter les marchés :
ses taux obligataires à un an, à deux ans, à cinq ans ou même à
dix ans, n'ayant cessé de monter, firent même croire aux débuts,
une nouvelle fois, d'une crise financière. Mais en un week-end,
brillamment, les
autorités du pays, échangeant avec les institutions
internationales, surent trouver un accord intelligent, un accord de
long terme, car comme l'expliqua
la presse, cela « résoudrait tous les problèmes du pays » :
pour toute l'année qui venait, en effet, et même pour une poignée
de mois de plus, les besoins de financement de la Grèce, qui
s'élevaient à 110 milliards, étaient comblés, grâce à une
« joint venture »
des État européens et du FMI, qui lui accorderaient des prêts
« par solidarité », mais également de la Banque
centrale européenne, qui exceptionnellement, rachèterait ses
obligations sur le marché secondaire ; en contrepartie, l’État
acceptait – ce qui naturellement, relancerait l'économie de la
Grèce : les prévisions du FMI l'avaient démontré – de
« mettre en œuvre les réformes qui s'imposaient »,
chose qui serait vérifiée, au quotidien, par des individus issus de
ces institutions.
Le
mémorandum, comme il fut nommé, fut ainsi signé à Athènes, le 5
mai 2010, avant d'être approuvé par le Parlement, le 7 mai ;
et la Troïka, qui regroupait le Conseil de l'Europe, la Banque
centrale européenne et le FMI, entra dès lors en action. Candide,
qui connaissait parfaitement les affaires européennes, et que ses
supérieurs, subjugués qu'ils avaient été par ses travaux,
estimaient, et entendaient récompenser, lui accordèrent une
promotion, en le détachant, en compagnie de spécialistes
du FMI, dans la capitale grecque.
Candide,
qui se souvenait que l'Europe, au fond, était sa seule raison de
vivre, en avait pleuré de joie :
« C'est...
c'est vraiment... un rêve qui se concrétise... Je vais retrouver
l'Europe... Et j'ai... du mal à y croire... »
Mais
en dix minutes à peine, relevant la tête, relevant les yeux, et
fixant l'horizon, il était passé des larmes à l'exaltation, de la
passion à la raison ; et dans sa cervelle, il s'était
exclamé :
« C'est
absolument formidable !... Car nous sommes missionnés,
cette fois, pour sauver l'Europe !... Et nous savons nous y
prendre ! nous avons l'habitude !... Car nous avons déjà
sauvé, par le passé, des dizaines d'économies en difficulté !...
« Nous
allons montrer à quel point, une nouvelle fois, nous comprenons les
réalités humaines ! Et nous allons montrer à quel point, une
nouvelle fois, la concurrence libre et non faussée est synonyme de
prospérité ! »
Il
avait même ajouté, lui qui fixait toujours l'horizon, et dont le
regard, dans ces minutes, était dirigé vers l'Europe :
« À
nous deux maintenant ! »
Avant
de se confier que vraiment, il aimait beaucoup cette citation d'Alexandre Jardin.
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