mercredi 31 octobre 2012

Chapitre huitième

Comment Candide, frappé par la crise, poursuivit son œuvre

Un an avait passé, et depuis, malgré l'agitation que sur les marchés, ou plus précisément le marché du crédit, il avait observée, notre homme, qui tradait, n'avait que peu enduré ; il en avait même profité ! il avait étendu ses activités ! si bien qu'une fois de plus, il avait maximisé son utilité ! Mais tandis que l'été s'achevait, le 15 septembre 2008, un événement était intervenu, et qui l'avait impacté.
La banque Lehman Brothers, pour laquelle il officiait, ne pouvait plus se refinancer : elle s'était effondrée ; et Candide, lui qui depuis dix jours, de façon acharnée, travaillait sur de nouveaux produits – car il innovait, – ne l'avait pas anticipé : il en avait été dérouté ; ce jour précis, pour lui, les choses s'étaient d'ailleurs passées ainsi :
« Candide, les jeux sont faits... », lui avait indiqué son supérieur, Philippe, qui s'apprêtait à quitter la salle. « Prends un carton, mets-y tes affaires, et descends... Nous nous retrouverons en bas... »
« Des jeux ? un carton ? mes affaires ?... et toute mon équipe quittant les lieux ?... » s'était dit Candide, interloqué. « Mais bien sûr !... ce doit être que nous allons faire du team building !... Amaaaaaaaaazing!... »
Les yeux illuminés, il s'en réjouissait ! Car la recherche l'avait prouvé, cela développait le potentiel de créativité. Et à la Commission européenne, il l'avait observé. Mais après s'être enthousiasmé, lui qui était lucide, lui qui était perspicace, il avait commencé à s'interroger. C'est que... les personnes qui quittaient la salle, semblait-il, n'étaient pas enthousiasmées... et cela le surprenait...
« Mais... comment se fait-il... que ces gens traînent des pieds ?... Le team building est pourtant le rêve que caresse tout homme !... Aurais-je donc mal compris ?... »
Et il avait réfléchi ; il s'y était investi ; mobilisant son esprit, une fois encore, il avait songé au comportement de ces gens, il y avait songé sérieusement, si bien qu'après s'être recueilli, en lui, l'explication avait enfin surgi :
« Suis-je bête !... Ce doit être qu'ils sont réactionnaires !... Et qu'ils n'aiment pas le team building !... Car parmi les Français travaillant ici, une large majorité, j'en suis sûr, aux dernières présidentielles, ont voté à droite !... Quel manque de modernité !... »
Quel manque de modernité, en effet ! Car le troisième millénaire avait commencé ! Le monde changeait ! Et il était tout de même malheureux que ces gens, à l'heure où tout bougeait, ne fussent pas plus ouverts à la nouveauté ! Néanmoins – et cela le rassurait, – sur certaines des choses essentielles, Candide et eux se retrouvaient ; car ils aimaient le libre-échange, ils haïssaient les frontières, et pour eux, le racisme était la pire des choses sur terre – tout comme Candide, ils étaient modérés.
Notre homme, quoi qu'il en soit, préparait son carton : un classeur, deux crayons et une poignée de feuilles, en trente secondes, y avaient été logées ; mais il avait l'esprit ailleurs : déjà, il songeait à ce qui d'ici une heure, le requerrait... Et il tentait plus précisément, dans ces minutes, d'en dégager les contours...
« Je ne sais absolument pas ce que ce team building nous réserve, pensait-il. Car c'est une surprise !... Mais... Oh, j'aimerais tellement que ce soit... du team jumping !... oui, du team jumping, où nous sauterions à l'élastique !... ou même en parachute !... oui, en parachute, car cela doit être fun !... cela doit donner des sensations !... Mais ce pourrait être, également... du team fooding !... oui, du team fooding, où tous ensemble, nous ferions la cuisine !... mais alors... il faudrait que la thématique... soit bien choisie !... pour que nous nous y trouvions en harmonie !... –Oh, j'aimerais tellement apprendre à préparer des sushis !... »
Son carton prêt, Candide avait quitté la salle ; mais avant de partir, il avait répondu à une obligation morale : il avait changé son statut sur Facebook. Pour ce faire, il avait employé son iPhone 3G cette nouvelle version du meilleur téléphone du monde, qui était plus rapide, plus fraîche, plus conviviale, était sortie en juillet, et pour l'acheter, Candide, dès le premier jour, avait fait la queue devant l'Apple Store, lieu où la veille au soir, craignant une rupture de stock, il avait hésité à camper il avait employé son iPhone 3G, donc, pour mettre à jour son statut Facebook, en inscrivant le message suivant : « Est apparemment convié à une séance de team building... – Attend donc avec impatience d'en savoir plus ! ».
Et pendant qu'enthousiaste, toujours enthousiaste, dans l'ascenseur qui le convoyait, il descendait les étages, par une subtile vibration de sa poche, il perçut qu'un commentaire, à l'instant, venait de lui être adressé ; mais parvenu au rez-de-chaussée, où il espérait s'enthousiasmer, il découvrit une phrase qui tel un poignard, lui perfora le cœur : « S'il s'agit de team building, c'est du team building posthume, Candide : Lehman est morte, définitivement morte – ses employés, à l'heure qu'il est, sont en train de quitter les lieux... Toutes mes condoléances, bien sûr, et bon courage... »
Sur l'instant, il en fut effaré ; et durant dix bonnes minutes, il en fut écrasé : il venait de perdre son emploi ! Quelle tare ! Car à bien y réfléchir, c'était pire que de se faire voler son iPhone !
Cette année, en effet, Lehman s'étant effondrée, il n'aurait pas de bonus, et cela l'effrayait ! Il n'aurait même pas de quoi se payer une Porsche ! Mais lui qui était un homme normal, il savait qu'en de telles circonstances, il fallait rebondir ; il fallait se relancer ; il ne fallait pas rater le train des opportunités ; si bien que pour gagner du temps, et ainsi maximiser son utilité, quittant Lehman, il n'adressa même pas un au revoir, et instamment, il se mit en quête d'un nouveau poste.

Il postula chez Citigroup, chez Morgan Stanley, et chez UBS, mais s'il était une banque, entre toutes, qui l'attirait, c'était Goldman Sachs ; il y fut embauché.

Pendant ce temps, pour le quidam, la crise avait débuté : les marchés étaient perturbés ; et si les politiques, de par le monde, essayaient de les rassurer, ils étaient bien moroses, et même déprimés.
Candide, de son côté, ne comprenait nullement ce qui s'était passé. Certes, il avait pu observer, durant l'année qui s'était écoulée, le resserrement de la liquidité interbancaire, et bien entendu, l'assèchement du marché des dérivés de crédit, qui était rattaché, in fine, à la baisse générale du marché de l'immobilier, ici, aux États-Unis ; mais la théorie qu'on lui avait enseignée, tout de même, ne prévoyait pas ces choses !... Car dans l'économie véritable, tout restait stable !... Et au moindre écart, les choses revenaient à l'équilibre !... Cela avait été démontré, par des équations !... Cela était donc forcément vrai !...
Et il s'était interrogé, longuement interrogé à ce sujet, car la contradiction, vraiment, le dérangeait. Cela l'embarrassait ; cela le troublait ; cela le tourmentait. Et c'est alors que des hommes sérieux, qui étaient scientifiques, et donc dépourvus d'a priori idéologiques, s'exprimant à la télévision, mais également dans la presse papier, à New York, où il officiait, l'avaient éclairé : si une crise avait débuté, alors, à l'aube du XXIe siècle, c'était parce que l’État était intervenu.
« Mais bien sûr ! s'était exclamé Candide, en entendant ces propos. Aux États-Unis comme ailleurs, en intervenant, l’État a faussé l'autorégulation du marché, et ses processus vertueux, qui maximisent l'utilité de la société, n'ont pu s'appliquer ! Quel dommage que malgré les enseignements de l'histoire, les dirigeants ne l'aient pas compris !... »
Quel dommage en effet ! car à l'heure qu'il était, les marchés étaient paniqués ! ils s'affolaient ! et si rien n'était entrepris, dans l'économie, pour les apaiser, la crise s'étendrait, et le monde en souffrirait !
Alors dans les hautes sphères, on en discutait.
On convenait qu'il fallait réguler les excès.
Et heureux d'en avoir parlé, on s'en félicitait, car même si nul accord n'avait été trouvé, « les choses avaient formidablement avancé ».
Candide, pendant ce temps, avait tempêté, fortement tempêté, au moins dans son esprit, observant que ce n'était pas ainsi, bien sûr, qu'on rassurerait les marchés, et qu'on relancerait la croissance ! Il tenait au fait que l’État, quelle que fût la situation, quel que fût le moment, n'intervînt pas dans l'économie, car fatalement, cela créerait des distorsions, qui nuiraient au bien-être du consommateur ; et dans ces discussions en haut lieu, bien sûr, il craignait fortement – cela était justifié – que le marché observant que l’État, à court terme, pourrait intervenir, cela le perturbât davantage. « Ce serait une folie, une incroyable folie ! » avait alors songé Candide. « Car cela modifierait la fonction d'utilité du consommateur ! »
Toutefois, notre homme, à qui l'on avait expliqué que dans l'économie réelle, il n'y avait pas de crise (tous les modèles sérieux s'accordaient sur le sujet), était un peu gêné : la situation était imprévue, et lui qui savait qu'intervenir, cela était dangereux, il ne savait que faire. Il eut par conséquent l'idée, usant de son iPhone 3G (une véritable révolution, qui illustrait à quel point le progrès, dans les affaires humaines, était indéniable), de contacter une personne qu'il avait connue, qui l'avait instruit, et qui jusqu'à ce jour, chaque fois qu'il l'avait interrogée, l'avait impressionné par sa hauteur de vue. Par mail, ainsi, il avait contacté Monsieur Pan, et le professeur Pan, son bon maître, lui avait indiqué que dans la vie réelle, sans les banques, l'économie ne pouvait tenir, et que par voie de fait, afin de rassurer les marchés, il fallait rassurer les banques – ce que l'on ne pouvait faire, naturellement, qu'en les soutenant financièrement ; de prime abord, cela avait choqué Candide, qui avait rétorqué :
« Mais le bien-être général va diminuer ! »
Mais le professeur Pan, qui était si brillant – car ainsi que Candide, il avait fait Polytechnique, – par ses propos rationnels, avait su le convaincre : à compter de ce jour, Candide, qui était une élite, c'est-à-dire un homme « indépendant », qui « pensait par lui-même », saurait qu'au cours d'une crise, et en particulier de cette crise, il fallait sauver les banques à tout prix, car elles financent l'économie.

Ces pérégrinations mentales, du reste, avaient eu leurs équivalents physiques : notre homme, qui était si profond, nous l'avons vu, avait intégré Goldman Sachs ; et dans cette banque, il était mieux que trader, il était conseiller : il conseillait un personnage haut placé, John Smith, qui dirigeait les activités de marché à New York, et qui avait besoin, pour être épaulé, d'un homme « technique et précis », qui avait « une bonne vision d'ensemble », c'est-à-dire qui connaissait parfaitement, et même rigoureusement, à la fois, le monde du marché et celui de l'économie ; et si Candide, lui qui n'avait pas même trente ans, y était parvenu, c'était parce qu'il avait bénéficié, lui qui était habile, de solidarités : en effet, le professeur Gloss, qui était de passage à New York, à l'ONU, pour un congrès sur la situation des droits de l'homme en Russie, en Iran et en Chine (un congrès « non partisan », qui « fustigeait les dictateurs », au nom « des valeurs communes à l'ensemble de l'humanité »), le professeur Gloss, donc, avait vanté les mérites de Candide, indiquant à John Smith :
« Je connais Candide... comme l'Orient !... le grand Orient !... voyez-vous, nous nous sommes côtoyés dans les loges... de Roland-Garros !... et il sait ce qui compte !... Il sait que les activités de marché garantissent la liquidité ! Il sait que les États-Unis défendent la liberté ! Et il ferait tout, absolument tout pour Israël, car il sait que la Shoah, cette barbarie typiquement européenne, est le seul crime contre l'humanité qui ait jamais eu cours ! »
Ce plaidoyer vibrant, pour un homme si sérieux, si profond, si équilibré, avait enthousiasmé John Smith, qui l'avait embauché.

Candide, ainsi, avait retrouvé du travail, et il avait découvert son métier : il conseillait. La personne qui l'avait recruté, bien sûr, ne connaissait nullement – du moins dans les détails – les travaux de ses subordonnés, et c'était à cet effet, entre autres, afin de mieux maîtriser ce qu'auprès des marchés, ses subordonnées faisaient, qu'il avait été engagé. Car il avait l'esprit critique : il n'était pas formaté : il était conscient des réalités. En effet, il savait ce que voulait dire être long epsilon, long vol, et long correl ; il savait roller des futures ; il savait unwinder des positions ; et plus généralement, il connaissait les stratégies qui sur le marché, étaient usitées, si bien qu'en tant que conseiller, il conseilla.
À cette période, il l'observait, les cross-currency basis spreads augmentaient, mais pire que tout, les spreads de taux Libor-OIS explosaient, ce qui illustrait que les banques, les unes vis-à-vis des autres, se défiaient : elles craignaient ce qui dans leur bilan (et même hors de leur bilan), était logé, et qui ainsi que Lehman Brothers, pouvait les faire s'effondrer. – Et vraiment, cela effrayait Candide ; car lui connaissait l'histoire, il le savait : l'effondrement des banques, forcément, conduisait au nazisme.
Rendez-vous compte ! Si l'on ne faisait rien, en France, le F-Haine risquait de parvenir au pouvoir ! Et dans ce cas, les Français n'auraient pas droit au mariage homosexuel !

Candide, qui était scientifique, s'était longuement questionné, tout de même, au sujet de la crise, mais de cette crise : elle avait démarré, chacun le savait, par l'effondrement du marché des subprimes ; mais les subprimes, tout de même, étaient fondées sur deux idées brillantes ! – et deux idées nouvelles, deux idées constructives, deux idées inventives. – Ces deux idées étaient les suivantes : l'immobilier monte toujours, et le transfert des dettes sur le marché accroît l'efficacité de l'économie. « C'était pourtant formidable ! » s'était confié Candide. « Car dans cette affaire, le marché jugeait, et comme le disent les plus grands économistes, le marché a toujours raison. »
(Candide, récemment, avait eu le bonheur, à New York, d'assister à un débat entre Alain Minc et Jacques Attali, un véritable « débat au sommet », un « débat entre deux visions de la société », où malgré leurs « profondes divergences », ils s'étaient accordés sur ce fait.)
Quoi qu'il en soit, notre homme avait réfléchi ; il avait réfléchi au fait que malgré cette idée, les subprimes, qui était si innovante, une crise était intervenue, qui en était issue, et qui à l'heure qu'il était, perturbait le fonctionnement des marchés ; il y avait réfléchi, sincèrement réfléchi, et il s'était garanti, une fois encore, que l’État étant intervenu, le malheur venait de là. Il s'était d'ailleurs confié, citant un grand penseur :
« L’État est le plus froid de tous les monstres froids, Daniel Cohn-Bendit l'avait bien vu ! »
L’État était intervenu, donc, et le malheur venait de là, c'était une certitude. Mais le soutien aux banques, qu'il défendait désormais, c'était autre chose qu'une intervention de l’État ! C'était une nécessité ! C'était même une nécessité vitale ! Et critiquer ce principe, c'était d'autant plus grave que bien des banques, par le nom qu'elles portaient, avaient des consonances hébraïques – les critiquer, c'était faire preuve d'antisémitisme.
Candide, dès lors, avait soutenu le plan Paulson : en pleine campagne présidentielle américaine, « dépassant le clivage droite-gauche » qui depuis toujours, « depuis que le monde est monde », « structure la vie politique », la Chambre des représentants et le Sénat, conjointement, avaient adopté ce plan, ce beau plan, ce merveilleux plan, qui prévoyait qu'une enveloppe de 700 milliards de dollars, en urgence, fût allouée à l'achat d'actifs toxiques par le Trésor américain, afin d'alléger la comptabilité des banques, qui avaient tant fait pour ce beau pays, les États-Unis, que ce dernier, tout de même, pouvait au moins avoir la décence, dans les circonstances, de les remercier par ce geste !
La campagne présidentielle, nous l'évoquions, battait alors son plein : elle opposait deux hommes qui résolument, n'avaient rien à voir – Barack Obama, en effet, était noir, alors que John Mc Cain était blanc. Et par la fraîcheur qu'il apportait, le premier des deux hommes, qui était de gauche – car il était démocrate, – « renouvelait la politique en profondeur » : il était « pour la tolérance », « pour la paix dans le monde », et « contre le terrorisme », et il avait synthétisé ses pensées, qui étaient si subversives, si rebelles, si anticonformistes, en un mot qui au quotidien, avait retenti dans l'esprit de Candide : « CHANGE »...
Où qu'il allât, quoi qu'il fît, il se le répétait : « CHANGE... » En se levant, en mangeant, en travaillant ou en se couchant, il se l'intimait : « CHANGE... » Sur son compte Facebook, son statut affichait « CHANGE » ; il fréquentait des établissements pour adultes qui sur leur façade, indiquaient « CHANGE » ; et lorsqu'il était rentré à Paris, durant trois jours, il s'était même fait photographier devant un bureau de « CHANGE » : cette fois encore, lui qui aimait la politique, il avait pris part à ce grand moment démocratique. Mais Candide, qui n'était pas borné (lui qui avait fait Polytechnique et l'ENA, il était forcément « ouvert », car « modéré »), ne s'en était pas arrêté à ce terme : il savait que ce mot, « CHANGE », dans l'esprit de ses concepteurs, n'était pas isolé, et il l'agrémentait parfois, ainsi, du sous-titre qui l'accompagnait : « we can believe in » ; cela donnait « Change we can believe in » ; et ce « changement auquel on pouvait croire », cela désignait ce que Barack Obama, en cette époque de « racisme institutionnalisé », c'est-à-dire de racisme « typiquement blanc », incarnait. Car il y en avait marre des « préjugés haineux » !... Il y en avait marre des « stéréotypes racistes », qui « gangrénaient la vie politique », en « s'étalant sur la place publique » !... Vraiment, cela faisait froid dans le dos !... Cela lui rappelait la colonisation, ainsi que l'esclavage, ces crimes que seuls les Européens avait commis !... Si bien que ce « Change we can believe in », c'était une véritable bouffée d'air frais !... C'était le vent du changement qui soufflait ! Et cela permettait de respirer !... Candide y croyait ! Il y croyait fervemment ! Il croyait fervemment au changement que Barack Obama, dès cette année, allait impulser. Il y croit si fervemment que dès le début de la campagne, il s'était impliqué : il avait pris des risques, mais il n'avait pas hésité : dès le mois d'août, il avait ajouté Barack Obama à ses amis Facebook.
Candide, qui travaillait pour Goldman Sachs, avait été heureux d'apprendre que la banque, cette année, de toutes les entreprises qui dans la campagne, s'étaient impliquées, serait le plus gros contributeur au camp Obama : elle qui était « désintéressée », et même « philanthrope », car elle « défendait des valeurs de progrès », elle avait offert un million de dollars, oui, un million de dollars pour aider ce pauvre homme, Obama, qui « incarnait le changement », et qui avait le plus grand mal, face aux rétrogrades, à imposer sa vision des choses. Car dans la société, il y avait encore bien des hommes, aux États-Unis, qui n'étaient pas « ouverts au monde » !... et qui ne pouvaient accepter qu'un « black », aussi brillant fût-il, pût diriger ce pays !... Martin Luther, qui avait tant fait pour son peuple, devait se retourner dans sa tombe !...
Certes, dans l'Eldorado du monde libre, à New York, et plus généralement aux États-Unis, il y avait nettement moins de racisme qu'en France, mais enfin ! on ne pouvait tolérer qu'au XXIe siècle, à l'ère du téléphone portable, on eût encore des idées dignes de l'âge de pierre !
Candide était ainsi conscient, parfaitement conscient que Goldman Sachs, en soutenant Obama, avait réalisé un acte militant : notre homme avait la tête sur les épaules ! Il avait d'ailleurs été heureux, extrêmement heureux de noter, lui qui n'oubliait pas l'Europe, que sur le vieux continent, sans réserve, on s'enthousiasmait pour cet homme, Obama, qui « rendrait l'Amérique plus humaine ». Des sondages avaient été réalisés, en France, qui montraient qu'à 80 %, les Français voteraient pour lui. Et en Allemagne, en Espagne, en Angleterre ou en Italie, les scores étaient similaires ! Cela était historique ! Car cela montrait qu'en Europe, l'antiaméricanisme s'effondrait ! Il s'effondrait enfin, et cela était naturel, car comment pouvait-on combattre, sincèrement, un État qui toujours, absolument toujours, défendait la liberté ?
Le 4 novembre, dans le plus beau des pays du monde, les électeurs avaient voté, et avec 53 % des suffrages exprimés, Obama l'avait emporté ; Candide en avait été enchanté ; il en avait pleuré : cela l'avait exalté. C'est qu'une grande page de l'histoire de l'humanité, ce jour, avait été écrite, et on ne pourrait l'oublier !

Il en avait été si heureux que le 5 novembre, en signe de solidarité, avec du Nutella, il s'était peint le visage en noir. Vraiment, Candide était engagé.

Il était si engagé qu'un beau soir, un peu plus tôt, lors d'un « meeting pour le changement », où l'on avait « défendu des valeurs d'avenir », et « pourfendu les Républicains » (car ils étaient si différents des Démocrates), il avait fait la connaissance d'une jeune femme, Cúnegónd O'Nócha-a-Cúig, qui avait des origines irlandaises, et qui ayant le teint hâlé – par ses ascendances guinéennes, – s'était retrouvée en cet homme, Obama, qui incarnait la diversité.
Elle était née américaine, ici, à New York, et dans cette même ville, désormais, elle travaillait dans le prêt-à-porter. Elle entendait lutter, au quotidien, face à tout ce qui dans les mentalités, « contribuait à véhiculer des clichés » : elle combattait le sexisme, le patriarcalisme, et tous ces vieux « moralismes » ; mais plus encore, elle combattait le racisme, cette chose « affreuse », et même « immonde », qui était « typiquement occidentale ». C'est donc naturellement que nos deux âmes, se découvrant à l'occasion de la campagne présidentielle, qui était si profonde, s'étaient immédiatement aimés. Il s'étaient aimés d'un amour vrai, un amour juste, mais surtout d'un amour coloré, un amour qui respectait le métissage.
Leur aventure, qui était si intense, dura dix jours.

Le plus grand, le plus beau, le plus formidable des hommes, Obama, avait ainsi été élu ; mais une crise était en cours, une crise financière, qui occupait les esprits, et qu'il fallait résoudre, rapidement, pour protéger l'économie.
Candide, pour sa part, était à l'intérieur du système : il observait ; et s'il observait, c'était également, alors, pour garantir que les activités de marché, dans sa banque, à New York, malgré les « turbulences », pussent « demeurer profitables ». Mais il participait surtout, en ce début de crise, à la stabilisation du système ; ainsi lui avait-on demandé, en urgence, un rapport synthétisant les risques auxquels la banque, sur ses activités de marché, était exposée.
Il avait compilé des chiffres, des données, des valeurs, qu'on lui avait expédiées, et en calculant des lagrangiens, il avait montré qu'à court terme, dans ce secteur précis, pour se financer, la banque pour laquelle il œuvrait, Goldman Sachs, aurait besoin de trente milliards de dollars. C'était un chiffre !
Les résultats du calcul, bien sûr, avaient été transmis à John Smith, son supérieur, qui les avait reportés à sa hiérarchie ; et deux jours plus tard, les autorités américaines, qui étaient « soucieuses du bon fonctionnement de l'économie », avaient exprimé à la banque qu'à compter de ce jour, sans faute, ses besoins seraient garantis, et même le double ou le triple, si cela était nécessaire. On avait simplement demandé à ses dirigeants, en contrepartie, de signer un papier stipulant qu'à l'avenir, ils « essaieraient de prendre des positions moins risquées » ; les dirigeants s'étaient excusés, copieusement excusés, et ils avaient signé ; les autorités américaines, dès lors, s'étaient félicitées car s'ils s'y étaient engagés, forcément, ils prendraient moins de risques.

Les jours avaient passé, et force était de constater, malgré la volonté que les dirigeants, au sommet des États, illustraient, que cette crise était tenace. Au tout début, brillamment, en France, les politiques et les médias, observant ce qui se tramait, aux États-Unis, suite à la chute de Lehman Brothers, avaient soutenu à la population, qui s'en effrayait, que cette crise était « purement américaine », et que les banques françaises, c'était une évidence, étaient « parfaitement immunisées » ; malheureusement, la Société Générale, BNP ou encore Calyon, avaient aussi été touchées, et il avait fallu les aider car il fallait éviter, à cet instant, un assèchement supplémentaire de la liquidité.
Il était toutefois entendu, en ces beaux jours, que cette crise, cette grande crise, qui venait de débuter, était une crise uniquement financière : elle n'aurait pas de répercussion, naturellement, dans la vie des Français.
Elle aurait moins de répercussion, en effet, que les « journées de mai 68 », dont Candide avait fêté l'anniversaire, cette année, en lisant Libération et le Nouvel Observateur (il avait particulièrement apprécié leurs numéros « spécial 40 ans »), des journées qui il le savait, avaient « transformé l'humanité », en la rendant plus « ouverte », plus « libre », plus « tolérante » (il avait d'ailleurs été étonné, à cette occasion, que la jeunesse se sentît si peu concernée – seuls des jeunes retraités, semblait-il, s'y intéressaient ! Le monde devenait décidément réactionnaire !)
Toujours est-il qu'en janvier 2008, la Société Générale, par la seule faute de Jérôme Kerviel, avait essuyé des pertes, et cela avait perturbé le marché ; mais comme l'avait souligné Alain Minc (qui était tout de même major de l'ENA, et qui par ce fait, faisait l'admiration de Candide, qui avait lu tous ses livres, même ceux qu'il n'avait pas écrits), le capitalisme était une machine robuste, et si cette fois encore, il était mis à l'épreuve, il y survivrait, sans difficulté.

L'année s'étant achevée, et Obama ayant pris ses fonctions, enfin, à la Maison blanche, la situation s'était calmée : dès mars-avril 2009, après avoir s'être effondrés, les marchés s'étaient stabilisés, et ils s'était même redressés, si bien que désormais, comme l'expliquaient les médias, la crise était « derrière nous ». Candide, qui savait à quel point l'économie, elle, ne ment pas, s'en était d'ailleurs réjoui : les experts, qui n'avaient pas oublié que tous les hommes, quel que fût le lieu, quel que fût l'époque, maximisaient leur utilité, avaient bien calculé : ils avaient trouvé la frontière d'indifférence des banques – et ils avaient ainsi sauvé le monde.
« Bravo ! Bravo ! » s'était-il exclamé. « Cela prouve à quel point toujours, absolument toujours, nous avions raison : cette instabilité était temporaire, et les lois du marché, qui déterminent l'équilibre, sont décidément infaillibles ! Dire que certaines voix, depuis des mois, en particulier en France, s'élèvent contre ce consensus !... »
Il avait réfléchi, un instant, à la raison pour laquelle des hommes, des fous, pouvaient avoir des idées pareilles, en France, au XXIe siècle, et la réponse, la réponse évidente, avec diligence, avait jailli dans son esprit :
« Mais bien sûr ! Ce sont encore des sous-marins du Front national !... Ce sont les mêmes qui le 6 février 1934, ont essayé de renverser la démocratie !... Ce sont les héritiers de Maurras, ce personnage abject !... Ils me dégoûtent !... Ils me répugnent !... Il m'écœurent !... Car avec leurs stéréotypes racistes, ils mettent à mal les fondements humanistes de l'Europe !... »
Candide, sincèrement, était effrayé par ces gens qui doutaient : s'il en eût le pouvoir, il les eût fait enfermer.

Toujours est-il que serein, parfaitement serein, il avait poursuivi ses travaux, dans son métier, où il s'épanouissait. Il était entendu, désormais, que les problèmes avaient été réglés, et qu'il appartenait aux États, dorénavant, de se réformer, afin de mieux répondre aux défis de la mondialisation, auxquels ils étaient confrontés. La crise avait produit du chômage, il est vrai, mais ce n'était là qu'un ajustement, un ajustement temporaire, et bientôt, la science économique l'avait prouvé, un rattrapage s'opérerait, qui annulerait les effets de la crise. Vraiment, tout était au moins mal dans le moins mauvais des mondes !
Le supérieur de Candide, John Smith, qui dirigeait les activités de marché de sa banque, à New York, sur toutes les classes d'actifs, lui avait demandé de jeter un œil, par curiosité, sur les « Euro-bond deals », ainsi qu'on les nommait ; car s'il savait que bien sûr, sa banque était protégée (les autorités ne pouvaient prendre le risque, c'était une évidence, d'un deuxième Lehman Brothers, et quoi qu'il arrivât, quoi qu'ils fissent, elles la soutiendraient – ainsi que BNP ou la Société Générale, en France, Goldman Sachs, aux États-Unis, serait bientôt classée « too big to fail », et à ce titre, jamais l’État ne l'abandonnerait), s'il savait que bien sûr, donc, sa banque était protégée, il voulait vérifier que les activités qui y étaient liés, malgré la « dégradation du climat financier », avaient encore en effet, comme on le lui avait expliqué, « un potentiel de croissance ».
Candide, qui aimait enquêter, avait alors discuté avec les traders qui en la matière, étaient concernés ; ces gens traitaient des produits obligataires, dont la valeur était indexée sur les taux auxquels empruntaient, sur les marchés, certains États du vieux continent. Naturellement, grâce à la « convergence », en Europe, les taux s'étaient « harmonisés », et le coût d'emprunt des États baissant, grâce à l'euro, cette belle monnaie, bien des projets avaient pu être financés, en particulier des projets immobiliers, en Espagne, au Portugal ou en Grèce (de véritables « projets stratégiques », qui avaient « apporté de la croissance ») ; mais la crise s'étendant, l'on pouvait se demander, à terme, s'il en serait encore de même... C'était ici qu'intervenait, justement, Axel Laroche, qui récemment, venait de passer « vice-president », et qui avait l'âge de Candide. Comme lui, il avait fait une grande école, mais il n'avait fait que Centrale, et il n'avait même pas fait l'ENA ! Le faible ! le lâche ! l'incapable ! – Candide se demandait, parfois, comment l'on pouvait même parler à de tels personnages ! – Mais il avait à apprendre, alors il avait parlé, et il avait fait parler. Ainsi Axel lui avait-il confié :
« Vois-tu, Candide, sur le marché des bonds, il y a de véritables opportunities ; car les États devant intervenir, en Europe, pour sauver leur économie, ils sont contraints de s'endetter ; et comme nous l'ont confié nos strategists, qui à la Banque centrale européenne – et plus généralement en Europe, – ont leurs entrées – un certain nombre d'anciens de Goldman Sachs y travaillent, – contrairement à ce qui est fait ici, aux States, où le Quantitative Easing est en marche, en Europe, cela attendra, et en attendant, les taux vont augmenter, en particulier en Grèce, où la dette n'est déjà plus... disons... sustainable !
– Mais... avait hésité Candide, ces informations touchant le futur... en êtes-vous sûrs ?...
– Bien évidemment, Candide ! Mais pour en profiter, nous devons trouver des clients, des muppets, à qui disposant de ces informations, nous dirons le contraire. De cette manière, nous pourrons faire du P&L ! »
Candide était resté interloqué, un instant ; et après avoir réfléchi, un grand sourire aux lèvres, il s'était exclamé :
« Mais bien sûr, je comprends ! Votre filtration est plus riche que celle de vos clients ! »
Notre homme était sorti ébahi de cet échange : il avait bien perçu qu'ici, seuls des individus normaux travaillaient, car tous, ils maximisaient leur utilité.

Par acquis de conscience, tout de même, avant de rendre son rapport à John Smith, il avait contacté son bon maître, le professeur Pan, qui dorénavant, travaillait pour Jean-Claude Trichet, à la Banque centrale européenne ; et le brillant, l'intelligent, l'excellent professeur de Candide, dans sa sagesse, lui avait expliqué que bien entendu, il ne pouvait divulguer ces informations au public, mais qu'en effet, à court terme, la BCE ne pourrait nullement agir ainsi que la Fed, et que par conséquent, presque sûrement, les taux obligataires augmenteraient dans les pays que déjà, on nommait les « PIIGS ».
Candide était heureux, parfaitement heureux : il travaillait dans une banque où il le voyait, les gens étaient conscients des réalités. Et il rédigea ainsi son rapport, un rapport sérieux, un rapport profond, un rapport scientifique, où il encensa le business plan de la trading team que deux jours durant, il avait étudiée.
Néanmoins, à l'instant de le remettre à son boss, il eut un état d'âme : vendre ce type de produits... était-ce... compliant?... Car il avait suivi un e-learning, une semaine plus tôt, où il avait appris que les délits d'initié, les manipulations de marché, mais également le blanchiment d'argent, étaient interdits, et qu'en s'y adonnant, on s'exposait à des poursuites... à des poursuites graves... – On y risquait, en effet, rien de moins que des peines de prison !...
Ainsi avait-il interrogé John Smith, après lui avoir exposé les faits, pour en avoir le cœur net ; mais ce dernier, comme par réflexe, avait éclaté de rire. Il avait éclaté de rire, fervemment, avant de préciser, un grand sourire dégageant ses dents, des dents qui dans la lumière, éclataient :
« Nous, des banquiers, être condamnés ? Allons...
– Vous voulez dire que ?...
– Non, nous ne sommes pas intouchables, mais... les banques financent l'économie américaine, et les autorités, par voie de fait, doivent être conciliantes. Du reste, as-tu lu Adam Smith ?
– Bien sûr, c'est l'un de mes économistes préférés !... Il rappelle à quel point chacun, pour vivre sereinement, doit poursuivre ses intérêts, car de la sorte, grâce à la main invisible, cela maximise le bien-être général.
– C'est... à peu près cela. Et que faisons-nous, Candide, en vendant ces produits obligataires ? »
Candide avait réfléchi, un instant, avant de s'exclamer :
« Bien sûr ! Nous poursuivons notre intérêt !
– C'est exactement cela, Candide, tu es vraiment brillant ! Je mesure encore à quel point, sincèrement, j'ai bien fait de te recruter ! – Mais laisse-moi te raconter une anecdote, je t'en prie : elle illustre à quel point notre comportement, dans ces affaires, est rationnel. »
Au mot de « rationnel », son visage s'était éclairé. Car Candide sentait à quel point, vraiment, son supérieur était un homme sérieux. – Aussi l'écouta-t-il, dévotement, car bien qu'ayant une formation d'économiste, il avait encore à apprendre :
« Vois-tu, en 2007, j'étais déjà à ce poste. Et sachant que l'immobilier, à cette époque, avait entamé de baisser aux États-Unis, nous prévoyions des répercussions, assez rapidement, sur le continent européen. Mais afin de dégager des profits, en catchant les hanging fruits, nous devions être au courant, par avance, des décisions de la Banque centrale européenne. Par chance, d'anciens cadres de Goldman – et qui à ce titre, étaient encore rémunérés par la banque, – y travaillaient, et ainsi, ils nous abreuvèrent d'informations utiles. Ainsi fûmes-nous au courant, deux semaines avant que sur les marchés, elle ne se matérialisât, que la courbe des taux de l'euro, avec une forte probabilité, devait s'inverser ; nous en avons profité, bien sûr, pour retourner une partie de nos positions, et de la sorte, pour empocher un milliard de dollars.
– Bravo ! Bravo ! s'était exclamé Candide. Vous avez réalisé là une belle prise de bénéfices !... Mais comment se fait-il... que vous n'ayez pas été condamnés ?... Car il s'agissait, là encore, d'un délit d'initié ?...
– J'allais y venir, Candide. L'administration américaine, il est vrai, a parfois tendance à fouiller dans nos affaires : elle intervient un peu trop. Certaines personnes qui y œuvrent, d'ailleurs, trouvèrent alors un peu étrange, tandis que dans cette histoire, la quasi-totalité des acteurs, sur le marché, subirent de sérieuses pertes, que nous en eussions tiré bénéfice, et ce grâce au retournement de nos positions, en quinze jours à peine ! Une enquête fut ainsi diligentée ; et si elle ne sut identifier nos sources, qui étaient soigneusement dissimulées, elle ne manqua pas de montrer, in fine, qu'en effet, la banque était coupable de délit d'initié.
– Mais... pourtant... je n'ai pas entendu parler d'une condamnation de la banque, moi qui tout de même, étant trader, suivais quotidiennement les marchés !...
– Et c'est normal !...
– Vous voulez dire ?...
– Non, nous n'avons pas été innocentés ; mais nous n'avons pas été condamnés : disons que platement, très platement, nous nous sommes excusés. Et nous avons juré que sincèrement, nous ne le referions pas.
– Et... l'administration vous a laissés tranquilles ?...
– Parfaitement ! Car ne l'oublie pas, Candide, nous finançons l'économie.
– Mais Monsieur Smith, je suis impressionné ! Je ne peux que vous admirer ! La banque est donc capable, en toute circonstance, de retourner les choses en sa faveur, et à la fin de fins, de s'en trouver blanchie ?...
– Ce n'est pas exactement cela, Candide : il est déjà arrivé, par le passé, que nous subissions des condamnations. Mais il fallait pour cela, bien sûr, que la presse en eût entendu parler, et qu'elle l'eût diffusé !... – Toujours est-il que dans cette situation, tu l'imagines, la banque n'est pas à son avantage. Car l'opinion publique étant manipulée, elle a tendance à surréagir. »
Candide s'était rappelé, au son de ces mots, la campagne de dénigrement organisée par la presse, en France, en 2003, pendant la guerre d'Irak, suite à l'intervention de Dominique de Villepin à l'ONU : elle avait été particulièrement odieuse, et même dangereuse, car anti-humaniste – elle brisait les espoirs de démocratie de tout un peuple ; il s'était donc rappelé cette manipulation, cette manipulation archaïque, car contraire aux valeurs de la République, mais il savait à quel point pour l'essentiel, ces faits étaient rarissimes : dans le monde libre, en effet, la presse disait la vérité, car elle y avait intérêt, en vertu de la concurrence libre et non faussée.
Toujours est-il que John Smith, qui était bien loquace, avait poursuivi ses propos :
« Je disais donc : il est déjà arrivé, par le passé, que nous subissions des condamnations. Il y a dix ans, en 1999, tandis que je n'étais qu'analyst, afin de favoriser un client, qui avait besoin que l'action Boeing, un jour de juillet, clôturât au-dessus de 45 dollars, nous avons acheté des contrats à terme, des futures, et nous avons ainsi, d'une certaine manière, favorablement orienté le marché.
« Malheureusement, le Washington Post le sut, le New York Times le relaya, le Wall Street Journal l'analysa, et bientôt, la justice enquêtant, nous ne pûmes échapper à une condamnation.
– La peine... je l'imagine... fut rude ?... interrogea Candide, un peu triste.
– Eh bien... nous nous sommes excusés, nous nous sommes profondément excusés, et nous avons promis, alors, que nous ne le referions pas ; et comme nous avions reconnu les faits, nous reçûmes une amende modérée, 10 millions de dollars – ce qui correspondait, à peu de chose près, à la moitié de ce que dans cette affaire, dans cette correction de marché, conjointement avec notre client, nous avions gagné.
– Bravo ! Bravo ! vous avez donc maximisé votre utilité ! Et vous avez bien fait ! Car seuls des fous, c'est une évidence, auraient agi autrement !
– Tu as parfaitement raison, Candide ! Je vois que tu as bien compris ce qui, dans une banque, pousse les hommes à agir ! »
John Smith, bien sûr, aurait pu évoquer la manipulation du Libor, ou encore les cross-currency basis swaps vendus à la Grèce, qui lui permirent de rentrer dans l'euro ; il aurait pu parler du financement du terrorisme, des guerres, des mafias, ou plus prosaïquement, du blanchiment d'argent ; mais il sentait que bientôt, une fois de plus, la banque serait sur la sellette, et que contrairement à l'habitude, elle risquait de payer...
Dans les dernières années, Goldman Sachs, profitant de l'opportunité, avait vendu à ses clients des « subprime deals », qui étaient adossés, comme leur nom l'indiquait, à des créances immobilières de basse qualité ; ces créances, sélectionnées à dessein par le fond d'investissement Paulson, avec lequel la banque œuvrait, finirent par s'effondrer, ainsi que les produits qui y étaient liés, ces « subprime deals », qui étaient des « CDO », et que la banque avait nommés « Abacus » ; dans cette affaire, elle le prévoyait, elle devait encaisser, à peu de chose près, un milliard de dollars ; c'est ce qu'elle fit.
Mais le trader en charge de l'affaire, visiblement, n'avait pas été discret, et le New York Times, enquêtant, révéla à la fin de l'année, en décembre, la duplicité de la banque, qui en connaissance de cause, avait vendu à ses clients des produits qui à la fin des fins, ne devaient plus rien valoir, tout en en profitant, et en en faisant profiter, bien sûr, le fond d'investissement Paulson, qui la rémunérait au titre de la structuration du produit, et du marketing qu'à son sujet, elle opérait.
Suivis par le SEC (Securities and Exchange Commission), le « gendarme de la bourse américaine », qui enquêta, les dirigeants de la banque (et notamment des activités de marché), qui avaient été auditionnés par le Sénat, après s'être excusés, sérieusement excusés, et après avoir juré que cette fois, on ne les y reprendrait pas, virent la banque s'acquitter, tout compte fait, d'une amende record de 550 millions de dollars.
C'était énorme ! Absolument énorme ! Cela représentait, au bas mot, six pour cent et demi de ses bénéfices de l'année ! – C'était ainsi une certitude : cela la dissuaderait de recommencer.
Candide, apprenant le montant, avait été impressionné ; mais il avait compris, incidemment, que le trader qui était à l'origine de l'histoire, « Fabulous Fab », ainsi qu'on le nommait, était centralien.
« Le plouc ! s'était-il dit alors, en souriant. S'il avait fait Polytechnique et l'ENA, il ne se serait pas fait prendre ! »

jeudi 11 octobre 2012

Chapitre septième

Comment Candide, dans l'Eldorado du monde libre, était connecté à la modernité

« Un verre de bière !... Je peux imiter un verre de bière !... Mais c'est extraordinaire !... »
Candide, qui s'était impatienté, venait d'acquérir un iPhone, et il en découvrait les capacités.
« Regarde, si je fais pivoter mon iPhone, c'est comme si la bière coulait ! »
Et approchant l'appareil de sa bouche, il avait fait mine de boire :
« Glou glou glou... glou glou glou... »
L'effet était saisissant !
Pierre, l'ami qu'il avait retrouvé, ce soir de juin, à New York, dans l'île de Manhattan, en avait d'ailleurs été impressionné ! Car ce fait l'illustrait : la technologie améliorait la vie des hommes : elle était nécessaire à l'émancipation de l'individu. Un peu plus tôt, du reste, Candide s'était demandé, lui qui venait d'acquérir ce téléphone :
« Mais comment ai-je vu vivre si longtemps sans iPhone ?... Comment ?... Car vraiment, l'iPhone va changer ma vie ! »
Lui qui était éclectique, sur son téléphone, il avait bien des applications, mais des applications nécessaires – des applications qui sans doute, un jour, pourraient lui sauver la vie :
« Viou viou... Viouuuu... Viouuuu... Viou viou... Viou viou viou... Viouuuuuuuuuu...  »
Il tenait son iPhone à deux mains, et il lui faisait décrire des cercles : il imitait l'objet de combat par excellence, le sabrolaser ! – Il y avait même adjoint, pour en redoubler l'effet, cette réplique culte :
« Luc, je suis ton père...
– Waouh ! On s'y croirait ! » avait alors déclaré Pierre, enthousiaste, lui qui ainsi que Candide, était sorti de Polytechnique.
Mais l'instant d'après, trois de leurs proches les avaient rejoints, parmi lesquels deux, qui étaient en couple, avaient chacun acheté un iPhone. – Ce concentré de technologie, en effet, venait de sortir, et lorsqu'on était un homme ou une femme de progrès, s'en équiper était un devoir.
« C'est formidable ! » s'était exclamé le couple, au moment où ils étaient arrivés. « Nous nous étions perdus, mais grâce à iPhone Maps, nous avons retrouvé notre chemin ! »
Le numéro 1000 de la 5e avenue, en effet, était particulièrement dur à localiser ! Il fallait savoir qu'aux États-Unis, les avenues étant parallèles, elle sont numérotées de façon croissante ! Mais il fallait aussi comprendre que sur une même voie, les numéros des maisons se suivent !
Brenda, qui maintenant s'exprimait seule, avait d'ailleurs précisé son propos :
« Il y a deux jours encore, il nous fallait une carte pour nous repérer !... C'était pénible !... c'était gênant !... et ce n'était pas efficace !... car pour l'utiliser, j'étais obligée de tourner et de retourner le plan dans tous les sens !... Sans compter que sur un plan papier, il n'y a pas de fonction recherche !...
« Mais dorénavant, grâce au caractère intuitif de l'iPhone, avec deux doigts (elle avait mimé le geste), je peux zoomer sur les plans, et ainsi me retrouver !... Je ne parviens toujours pas à réaliser que c'est vrai !... Quel progrès !... »
Son compagnon, remuant la tête, avait acquiescé, il avait fervemment acquiescé, et autour de la table où ce soir, ils s'étaient retrouvés, tous en convenaient : l'iPhone était un objet nouveau, malin, futé, grâce auquel « rien ne serait plus pareil ».
C'était « une authentique révolution », mais une révolution intelligente, car elle avait été initiée par Steve Jobs. Ce « rebelle », qui « brisait les tabous », était « l'icône de toute une génération » : il était en effet moderne, et ses produits étaient innovants. Après le Macintosh, en 1984, et l'iMac, en 1998, il avait lancé l'iPod, en 2001, un objet qui grâce à sa molette intelligente, avait révolutionné le marché du MP3. – Candide, qui s'en souvenait, était terriblement ému : c'était grâce à l'iPod que des heures durant, il avait pu écouter les disques de Vincent Delerm, et en particulier son dernier album en date, Les Piqûres d'araignée, où il avait « repoussé les limites de la création ».

Depuis les malheurs du Traité constitutionnel européen (ou plus exactement du TCE, comme on l'avait nommé), deux ans avaient passé, et notre homme, depuis, avait changé de vie : un certain temps, il était resté à la Commission européenne, à Bruxelles, où après avoir monitoré les aides étatiques, il avait tracké, et même reviewé les services financiers ; mais travaillant ainsi sur les banques, et leurs activités, il s'était familiarisé avec ce que, vulgairement, on nommait les produits dérivés, et cela l'avait passionné...
« Quelle créations formidables ! C'est magnifique ! » s'était-il dit alors. « C'est l'illustration de ce que les vrais économistes, qui sont des penseurs indépendants, nomment l'économie de la connaissance et du savoir. Car pour créer ces produits, il faut être innovant, et de tout temps, en tout lieu, l'innovation a toujours été la plus belle des choses. »
Il était enchanté, et même subjugué ; si bien qu'une nouvelle fois, lui qui était un homme normal, il avait maximisé son utilité : pour 350 000 $ par an de fixe (car il y avait le variable, le bonus, qui compensait cette si modique somme), lui qu'à la Commission, où il n'y avait pas de conflits d'intérêt, on avait démarché, il avait intégré une grande banque d'affaires, Lehman Brothers, qui était entreprenante, et même performante – à n'en pas douter, elle était faite pour durer.
Au tout début, il n'avait pas traité sur les marchés : il avait observé, il avait étudié, il s'était imprégné, et parallèlement, il avait été formé à l'usage des outils qu'ici, pour suivre ses positions, on employait. Car Candide, dans ce bel établissement, avait été engagé comme trader, et si en la matière, il n'avait pas d'expérience, s'il n'avait jamais managé un book, s'il n'avait jamais hedgé des poses, en ayant des expectations, son intuition des marchés, dont il avait apporté la preuve, lors de ses entretiens, à ceux qu'il côtoyait désormais, l'avait singulièrement aidé. En effet, il savait parfaitement qu'un call delta-hedgé était gamma po, et que shorter de la vol, dans une situation où les tensions s'apaisaient, était plutôt une bonne idée ; mais s'il s'était distingué, c'était par sa compréhension d'un phénomène fondamental, l'inflation, qu'il avait expliqué par la théorie quantitative de la monnaie, qui est toujours vraie, et qui démontrait qu'en doublant la masse monétaire, on créait cent pour cent d'inflation ce qui laissait imaginer à Candide, au Japon (car on l'avait questionné sur le sujet), des déboires pour les temps à venir, et donc une baisse du Yen, une baisse des stocks, et dans l'ensemble, une baisse de la profitabilité ; l'homme qui l'avait recruté, Matthieu, qui était également polytechnicien, avait été impressionné par sa lucidité ; si bien que sans hésiter, il l'avait embauché.
Candide, qui s'était fait au métier, gérait maintenant des positions hybrides : les produits qu'il avait à sa charge, qu'il suivait, étaient parfois indexés sur le cours du blé, de l'électricité, de l'action Nestlé, ou même encore de l'immobilier ; de temps en temps, d'ailleurs, il shortait des mortgages, et il en shortait d'autant plus que ces derniers temps, aux States, le prix des maisons droppait. – Il le savait néanmoins, cette situation était temporaire, car par définition, comme la synthèse néoclassique le montrait, bientôt, un équilibre serait retrouvé, et ainsi, dans les vingt ans qui viendraient, cela était prouvé, il n'y aurait aucune crise (de grands économistes, qui étaient visionnaires, l'avaient d'ailleurs formellement vérifié) ; pendant ce temps, il profiterait des opportunités, et surtout, il ferait du P&L – c'était pour cette raison, tout de même, qu'il avait été engagé.

Candide, qui de la sorte, créait de la liquidité, et à qui l'économie, pour cette raison, était forcément redevable, avait ainsi quitté l'Europe : il avait rejoint le Nouveau monde, qu'il admirait, car à cet endroit, on parlait la seule langue valable, l'anglais, qui était « la langue de l'humanité » ; et en outre, en raison du climat de liberté qui régnait, les entrepreneurs n'étaient pas accablés ; mais plus que tout, aux States, on était ouvert à l'autre : on respectait les différences : on n'était pas aveuglé par des stéréotypes d'un autre âge !
Notre homme, pourtant, n'avait pas oublié l'Europe ; c'est que depuis toujours, il avait espéré que le Vieux continent, oubliant ses rancœurs, qui n'étaient pas rationnelles, s'unît enfin, en « faisant le grand saut fédéral ». Et s'il avait songé à l'Europe, c'était parce qu'en France, récemment, extrêmement récemment, avait eu lieu une élection, l'élection présidentielle, qui l'avait passionné.
En particulier, il avait beaucoup aimé les « désirs d'avenir » de Ségolène Royal ; car dans cette approche personnelle, qui renouvelait la démocratie, on sentait que plus que jamais, les forces de progrès s'étaient donné rendez-vous. Grâce à sa touche de féminité, en effet, la politique serait plus juste, plus douce, plus fraternelle.
« Fini le machisme !... fini le sexisme !...  » s'était ainsi dit Candide. « Il faut faire place aux femmes ! car elles ont une autre vision de la politique !... Une vision plus sensible, plus ouverte, plus apaisée ! une vision plus respectueuse des droits humains !... Et puis... elles qui durant si longtemps, ont été opprimées, en étant cantonnées au foyer, et ainsi empêchées de travailler, elles méritent bien d'être représentées !...
« Il y a trois ans, j'avais encore des craintes : j'appréhendais que les réactionnaires du Figaro, avec leur propagande désuète, et même dangereuse, car foncièrement stigmatisante, n'empêchent ce progrès nécessaire. Mais heureusement, les mentalités ont évolué : les Français, désormais, ont compris l'importance de la parité – car ce n'est qu'en acceptant que l'homme et la femme sont identiques, qu'aujourd'hui, au XXIe siècle, les choses pourront vraiment changer ! »
Des changements, précisément, étaient déjà en gestation ; on l'observait tous les jours, toutes les heures, dans les cellules de ce beau parti, le Parti socialiste, que Candide affectionnait : chacun, grâce à la « démocratie participative », émettait des propositions, des « créations personnelles », et en haut lieu, où l'on était « attentif aux désirs de la population » (car il ne fallait pas « se couper de sa base électorale »), on s'en inspirerait pour exercer le pouvoir. De cette manière, forcément, on prendrait des décisions plus profondes, plus brillantes, qui seraient véritablement tournées vers l'avenir : la grande politique, on l'observait, était enfin de retour !
Candide, qui s'était souvenu de son erreur, en 2005, cette année-ci, en 2007, n'était pas demeuré inerte : il avait agi ; il avait servi ; il s'était accompli. Et si n'étant pas en France, il n'avait pas pu, en personne, peser sur la campagne, grâce aux nouvelles technologies, il avait pu s'engager, et de la sorte, au moins partiellement, il avait fait rayonner ses idées.

Dès 2006, il s'était inscrit sur Facebook, ce « réseau social mondial », qui « facilitait les contacts entre individus ». Il y avait perçu, dès le départ, une authentique révolution, qui marquerait l'histoire de l'humanité. – Il y aurait un avant et un après Facebook.
Son premier ami sur ce site, il s'en souvenait, avait été Valéry Giscard d'Estaing : ce personnage si brillant, qui avait tant fait pour l'Europe, allait encore de l'avant ! Il avait accepté la modernité ! Il n'avait pas laissé passer le train du progrès ! Et Candide, qui en avait été impressionné, lui avait laissé ce court message, qui s'était affiché sur son wall :
« Monsieur Giscard d'Estaing, merci pour tout ce que vous avez fait, et merci pour ce que vous faites encore : toute la jeunesse européenne se retrouve en vous. »
Mais sentant que ces mots, somme toute, manquaient d'explications, il les avait complétés, une minute après, par le message suivant :
« Vous êtes d'ailleurs éternellement jeune, et c'est pourquoi nous vous estimons. »
Pour notre énarque, qui était un homme de gauche, la jeunesse était la plus belle des valeurs.
Mais comme on l'imagine, Candide, découvrant ce réseau formidable, Facebook, qui « créait du lien pour tous les humains », ne s'en était pas arrêté là – très rapidement, il avait multiplié les friends : il en avait désormais plus de trois mille. Michel Rocard, Amélie Nothomb, ou encore Alain Duhamel, bien sûr, figuraient en bonne place sur sa page, sur son profil, où il ne manquait pas de linker leurs dernières déclarations, leurs derniers livres, ou leurs dernières interventions télévisées, grâce à Youtube, ce site innovant, qui permettait d'héberger toutes sortes de vidéos – mais surtout de les partager.
Après avoir profité des extraordinaires jeux que Facebook, au quotidien, proposait à ceux qui y étaient inscrits (il avait beaucoup aimé le Sudoku 3D), il s'était pris d'une passion pour les statuts : chaque jour, chaque minute, chaque seconde, il pouvait modifier des informations à son sujet, des informations fondamentales, qui décrivaient son état du moment. Successivement, il était ainsi « en train de savourer un bon burger », « en train de lire le dernier chef-d’œuvre de Philippe Djian », ou « en train de faire caca ».
Mais les jours avaient passé, et la campagne présidentielle, en 2007, était arrivée. La priorité des priorités, bien sûr, était d'éviter qu'un « nouveau 21 avril », cette année, vînt perturber la course à l’Élysée. Candide, qui était conscient des réalités, en était un peu effrayé : il savait que les électeurs, en 2002, avaient « joué avec le feu », avec ce « vote de rejet » ; et l'un des candidats principaux, Nicolas Sarkozy, par ses propositions conservatrices, où il parlait de la France, du travail, et surtout des valeurs morales, semblait ressusciter cet esprit moisi, rance, qui donnait la nausée : à n'en pas douter, il draguait l'électorat du FN ! Cela l’écœurait ! – Pour cette raison, Candide, qui ne pouvait accepter ces dérives, s'était engagé.
Il s'était engagé depuis l'Eldorado du monde libre, New York, où les Européens, fatigués des réglementations de leurs pays, ainsi que de leur histoire, qui était si noire, contrairement à celle des États-Unis, venaient goûter la liberté, et y prospérer. Il avait commencé de façon distante, à l'heure des primaires, à s'exposer ; en effet, dans cet exercice démocratique, qui grandissait le PS (car il mimait la manière dont les partis, aux États-Unis, désignent leur candidat), trois individus, trois lignes, s'étaient opposés : Ségolène Royal, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn ; ces personnages étaient différents, extrêmement différents, et Candide, même s'il savait que Dominique Strauss-Kahn, indubitablement, connaissait mieux le monde réel (car il avait une formation d'économiste), était conscient que pour battre la droite, il fallait rassembler ; les sondages, depuis longtemps, avaient montré à quel point Royal, à cet égard, était le meilleur choix, et il l'avait vérifié, soigneusement vérifié, à l'aide d'un calcul de lagrangiens ; c'est qu'elle était une femme ! et par voie de fait, forcément, elle incarnait une vraie dynamique ! – Candide, sans hésiter, s'était ainsi rallié à Ségolène Royal.
Il avait alors fondé, sur Facebook, qui venait d'être ouvert au public, le groupe « Désirs de droits de l'homme », puis le groupe « Avenirs participatifs », mais également le groupe « Fraternités d'aujourd'hui », qui avaient eu un certain succès (près de deux mille personnes, sur chaque groupe, avaient aimé, et l'avaient illustré, certains précisant même, dans leurs commentaires, à quel point la candidature de Royal, dans ces primaires, était « l'illustration d'une démocratie en bonne santé »). Mais cette première étape, naturellement, n'était qu'un échauffement, et si Royal, cette fois, l'avait emporté sans mal, dès le premier tour, avec 60,65 % des suffrages, pour la deuxième étape, la vraie, la seule, celle de la confrontation démocratique, face aux électeurs, il faudrait s'investir davantage ; c'est qu'il fit.

Dans la journée, Candide tradait. Lui qui maintenant, s'était familiarisé avec ses outils, et qui savait parfaitement comment, sur chaque marché, se comportait la dynamique d'une volatilité, et pourquoi les puts lookback min strike, lorsque la vol augmentait, devenaient des puts deep in the money (choses qui bien sûr, lorsqu'on en était short, étaient d'autant plus volgamma neg que la vol était forte), confiant qu'il était, il maintenait ses positions (il était long equity, short taux, short inflation, short commodities, et short correl), et dans la mesure des limites de risque qu'à cet égard, on lui avait fixées, il créait de la valeur.
Dans la journée, Candide tradait ; mais quand le soir venait, il offrait son temps à la politique : il intervenait sur des walls, il commentait des statuts, et il avait même créé un blog, « All that is left », qu'il animait. Mais il n'agissait pas en vain ! Car lui qui était conscient que toujours, absolument toujours, un homme agit par intérêt, et qui s'y conformait, il avait repéré que dans la communauté expatriée, si elles étaient minoritaires, certaines des femmes qu'il côtoyait, c'était une évidence, étaient sensibles à cette politique de gauche, qui était si nouvelle, si fraîche, si généreuse.
Ses activités numériques, qui étaient militantes, lui avaient ainsi permis de mieux connaître une jeune femme, Quneghong Jiǔ-shí, qui était certes française, mais qui était d'origine chinoise, et qui comme lui, par goût de la liberté, s'était exilée aux États-Unis.
Elle travaillait ici, à New York, où pour une autre grande banque, Goldman Sachs, elle œuvrait en temps que sale (on prononçait « seïl », car cela signifiait « vendeuse »). Elle entendait lutter, au quotidien, face à tout ce qui sur les marchés, restreignait la liquidité ; mais plus que tout, elle combattait le sexisme, le racisme, et toutes les horreurs en -isme, sauf le féminisme. Et c'est naturellement que nos deux âmes, se découvrant à l'occasion d'une discussion sur un sujet, la place des femmes dans la société, qu'il avait évoqué sur son blog, qu'elle y avait commenté, et qu'ils avaient continué de décortiquer, plus longuement, en chattant sur Facebook, et c'est naturellement, donc, qu'ils s'étaient immédiatement aimés. Il s'étaient aimés d'un amour vrai, un amour juste, un amour qui respectait l'intelligence féminine.
Leur aventure, qui était si intense, dura dix jours.

Et le temps avait passé...
Candide, naturellement, avait poursuivi son travail. Mais ce travail, justement, n'était pas compréhensible de tous ! Si bien qu'invariablement, lorsqu'on lui demandait, simplement, de résumer son métier, il répondait :
« Eh bien... ce n'est pas compliqué... J'achète à 100... je revends à 110... Je fais du P&L... enfin... j'encaisse mes gains... Et je gère, tu vois, je gère... »
Les gens ne voyaient pas toujours, mais peu lui importait : il engrangeait les dollars, et de la sorte, il maximisait son utilité.
Son engagement politique, parallèlement, n'avait pas diminué : il suivait la campagne, et il s'y investissait. Le premier tour approchant, voyant que Sarkozy, le candidat de la droite, semblait gagner du terrain, dans les sondages, qui disent toujours la vérité, et qui ne visent absolument jamais à manipuler l'opinion des Français, voyant que Sarkozy, donc, semblait gagner du terrain, et que la raison de cet état de fait, lui paraissait-il, était cette obsession sécuritaire de la droite, qui flirtait avec l'extrême droite, Candide, qui en avait été singulièrement gêné, avait écrit un article sur son blog, « Les dérives anxiogènes de la droite », qui avait beaucoup plu.
Mais le 22 avril, le jour du premier tour, était enfin venu ; on avait fortement parlé, les jours qui avaient précédé, d'un troisième homme, François Bayrou, qui n'était ni de droite ni de gauche, et qui par conséquent, était très différent des candidats habituels. À n'en pas douter, il détonait ! Il apportait de la nouveauté ! Car il avait voté Oui à Maastricht, ainsi que lors du référendum de 2005 ! Cet homme, bien sûr, avait beaucoup plu à Candide, car contrairement à d'autres, il ne faisait pas dans la critique populiste. Un instant, il avait même songé à voter pour lui, jugeant que François Bayrou, sans doute, était le plus européen des candidats ; mais il était resté fidèle à la gauche, car elle incarnait des valeurs : Candide, en effet, était un homme tolérant – il détestait les extrémistes, ces hommes que sans hésiter, il eût fait enfermer.
Le soir du 22 avril, en compagnie d'amis qui comme lui, représentaient vraiment la France (ils étaient tous sortis de l'ENA, de Polytechnique ou de HEC), dans un bar lounge tenu par des expatriés, il avait pu suivre, sur un écran plasma géant, la divulgation des résultats, qu'il attendait. Sa première réaction, ce soir, avait été la suivante :
« Mais cet écran fait au moins trois mètres de côté !... Dire qu'il y a dix ans encore, il n'y avait que des tubes cathodiques !... Ces téléviseurs étaient encombrants !... et ils étaient limités !... Alors que ceux-ci sont magnifiques !... Je n'ose imaginer, voyant le rythme actuel du progrès, ce que le futur nous réserve... mais j'ai déjà hâte d'y être !... »
Candide, qui était de gauche, aimait beaucoup le futur.
Mais les résultats étaient tombés, et ce soir, ils l'avaient partiellement déçu : Ségolène Royal, sa candidate préférée, n'était qu'en deuxième place. Pourtant, derrière son malheur, un bonheur se cachait, et que sans réserve, il sut exprimer : car Jean-Marie Le Pen, ce fasciste notoire, qui était opposé à la monnaie unique, n'avait reçu que 10,44 % des suffrages, et cela avait rassuré Candide : des millions d'électeurs, grâce à cette campagne exemplaire, qui était digne d'une démocratie adulte, s'étaient réconciliés avec les valeurs républicaines. Vraiment, cela faisait un bien fou !...

Mais la campagne s'était poursuivie : le deuxième tour arrivait ; et l'on sentait que cette fois, plus que les voix du Front national, c'étaient celle de François Bayrou, cet homme indépendant, ce libre penseur, qui était critique vis-à-vis du système, qui étaient courtisées. En effet, il avait proposé une nouvelle voie, une voie sincèrement européenne, que l'on ne pouvait négliger ; aussi Ségolène Royal, intelligemment, avait-elle joué le rapprochement, en débattant avec cet homme, François Bayrou, qui avait renouvelé l'offre politique. Peut-être était-il trop iconoclaste, trop inclassable, trop dérangeant, et les médias le lui avaient payer ; mais cette dernière initiative, celle d'accepter un débat, avait montré que c'était un homme ouvert, un homme respectueux, un homme vraiment humain. Aussi Candide l'avait-il apprécié. Toutefois, la gauche n'en avait pas tiré d'alliance : François Bayrou, ce grand homme, ne donnerait pas de consigne de vote ; et les reports de voix, sans doute, seraient partagés.
Le soir du 6 mai, on l'observa d'ailleurs, si bien des partisans de Bayrou, qui entendaient changer la politique, avaient voté pour Royal, une part non négligeable d'entre eux, de leur côté, avaient voté pour Sarkozy, le candidat de la droite, qui proposait une politique si différente de celle de la gauche.
À vingt heures, les premières estimations furent annoncées ; elles ne laissaient de doute : Royal était battue ; Candide était triste.
Mais dans sa tristesse, il s'était rappelé que le Front national, à l'occasion de cette campagne, avait reculé : 2002, c'était une évidence, n'avait été qu'un avertissement adressé aux dirigeants, et les dirigeants l'avaient entendu ; ils avaient entendu que pour contenter le peuple, il fallait plus d'Europe.

Cela faisait deux mois, ou plutôt bientôt deux mois que Nicolas Sarkozy, le nouveau président, avait été élu, et Candide, à la réflexion, avait beaucoup aimé certains de ses slogans, en particulier « Travailler plus pour gagner plus », qui était la pensée même d'un homme normal. Par ailleurs, ce Sarkozy avait maintenu le cordon sanitaire qui le séparait du Front national, et c'était tout à son honneur. Il avait même, chose extraordinaire, nommé des ministres d'ouverture, pour montrer à quel point, vraiment, que l'on fût de droite ou de gauche, il fallait défendre les valeurs républicaines (Candide aimait beaucoup Bernard Kouchner). Enfin, lui qui était d'origine hongroise, et qui avait des ascendances juives, il montrait à quel point la société multiculturelle, celle à laquelle aspirait Candide, était souhaitable, car elle permettait de stimuler les talents.
Mais ce soir, cette élection appartenait au passé. Car cette merveille de technologie, l'iPhone, venait de sortir, et elle émerveillait les esprits. C'était un appareil magique, fun, convivial, qui modifiait le rapport des hommes à la réalité. C'était en effet un bouleversement , une rupture du cours de l'histoire. Car dorénavant, les hommes seraient connectés.
Candide, attablé avec ses amis, envoyait des textos ; il avait il est vrai, à cet égard, un forfait illimité, et il en profitait ; voici l'exemple d'un de ses échanges :
[T'es où ?]
[Au Met. Avec un iPhone.]
[Trop ouf ! Moi aussi j'ai un iPhone !]
[Je ne peux plus m'en séparer ! ]
[Bon j'arrive lol. ]
[Lol à toute !]
Vraiment, l'iPhone permettait des prouesses ! Il permettait même, lorsqu'on écrivait un message électronique, au moment de l'envoyer, d'insérer automatiquement une phrase, à la fin du texte, qui précisait d'où il avait été expédié.
« Sent from my iPhone, the best phone in the world », signait ainsi Candide.
Il en était pourtant, rendez-vous compte, qui refusaient ce progrès ! Et il y en était même, en 2007, qui n'avaient pas de téléphone portable !
« Les fous ! » s'était dit Candide. « Ils ne vivent pas avec leur temps ! Ce sont vraiment... des dinosaures !... Heureusement qu'ils vont s'éteindre !... HAHAHAHAHA !... »
Cette brève remarque, qui lui était venue subitement, comme un trait d'esprit, l'avait beaucoup fait rire.
Mais ce soir, sirotant un Moon Bull Sugarfree (le bar du Met, en effet, de même que de nombreux bars, à New York, ne proposait pas de Smirnoff Ice, et Candide, ce soir, s'était rabattu sur cette boisson à base de Red Bull Sugarfree, qui lui plaisait de plus en plus, car elle était jeune, fraîche, et profondément cool), sirotant un Moon Bull Sugarfree, donc, il profitait des températures, du temps, et des amis qui enfin, l'avaient rejoint. Il venait, à l'instant, de modifier son statut Facebook, pour indiquer : « boit un Moon Bull Sugarfree au Met » ; un de ses amis Facebook, qu'il n'avait vu qu'une fois, avait immédiatement commenté : « Amazing ! Moi aussi je bois un Moon Bull Sugarfree, mais à la Tate. »
Les amis de Candide, c'est clair, étaient vraiment branchés culture.
Toujours est-il que ce verre, au Met, les avait mis en forme, si bien que comme prévu, ils avaient poursuivi chez un ami de Candide, Cacambo, qui était originaire de Cadix, et qui était métis, avec une soirée Wii.
La Nintendo Wii, cette fabuleuse console, était sortie l'année précédente, en 2006, et Candide, lui qui immédiatement, en avait acquis une, en avait profité – il avait sérieusement kiffé. Car cette console était conviviale, et surtout, grâce à sa poignée ergonomique, la Wiimote, ainsi qu'à son Nunchuk, qui l'accompagnait, le monde du jeu vidéo était transformé : certains disaient qu'il s'agissait d'une véritable innovation, mais pour notre homme, qui était enthousiaste, il s'agissait d'une authentique révolution. Candide l'utilisait même, parfois, afin d'entretenir sa forme, grâce au système Wii Fit, qui également, avait bénéficié à Kunegondisan Hachijû, à Kunęgondą Osiemdziesią-Trzy, ou encore à Gunnåkonda Åttiofem, qui en avaient admis l'utilité, et qui l'en avaient remercié.
Mais ce soir, il y avait du challenge : ils étaient six, et à tour de rôle, ils se relaieraient face au téléviseur ; car ils jouaient à Wii Sports, et vraiment, cela déchirait !
Ils avaient commencé par le golf, et Candide, à ce jeu-là, excellait ; il fit birdie sur birdie, et tous, ils furent impressionnés. Puis il y eut le tennis, la boxe, le bowling, le baseball, et chaque fois, Candide l'emporta haut la main. Il en fut donc félicité, et même, sans hésiter, il fut sacré « roi de la soirée ».
Malheureusement, cette soirée eut une fin ; car après tous ces jeux, après trois Moon Bull Sugarfree, et après d'âpres débats, surtout, au sujet de la compétitivité-prix, Candide rentra chez lui.
Cette fois encore, semblait-il, il était un peu fait. Mais il en profita, pendant qu'il descendait l'immeuble en haut duquel, trois heures durant, il avait joué à la Wii, pour poster des informations sur Facebook, grâce à son iPhone, qui était si performant.
Il avait pris des photos, de belles photos, et précisant sur sa page : « Une soirée bien kiffante chez Cacambo », il avait ajouté des images, il avait taggé ses friends, et profitant de l'instant pour, grâce à sa page Facebook, prendre des nouvelles de Robert Badinter, il avait enfin quitté l'immeuble, et il avait regagné la rue.
Il titubait légèrement, mais il tenait debout ; et il marchait ; il avançait ; il progressait. Pour regagner son loft, il le savait, il avait trois blocks à passer, et la lumière des réverbères, à l'heure qu'il était, l'éclairait. Il avait franchi le premier block, quand soudainement, tandis qu'il rédigeait un texto, une grande silhouette s'était dressée, face à lui, et lui avait intimé :
« Gimme your phone! »
Candide, entendant ces mots, avait alors songé :
« Oh, comme c'est amusant ! cet homme cherche à communiquer !... Il a visiblement dû entendre parler du nouvel iPhone, et il aimerait le tester ! »
« I said Gimme your phone, fag !
I... er... Hi, my name is Candide, and basically, I'm very pleased to see that... that you're a tech-addict, just as I am !... »
Il avait terminé sa phrase dans un grand sourire, songeant que peut-être, ce soir, il allait gagner un friend ; mais l'homme avait répondu, froidement :
« I got no time ; either you gimme your phone, or you're a dead man. »
Candide, alors, avait aperçu que cet homme, qui était noir, brandissait un couteau. Il s'était dit ainsi, naturellement, lui en tant que polytechnicien, savait raisonner :
« S'il porte un couteau, c'est sans doute qu'il a faim !... Oui, c'est certainement cela, car en France également, les minorités sont défavorisées : elles sont victimes du racisme. Alors venons-lui en aide, et prêtons-lui notre iPhone, afin qu'il étanche sa soif de connaissance ! »
Il avait donc tendu son iPhone, et l'homme, le saisissant, s'en était allé en courant.
Candide avait été surpris, singulièrement surpris de sa fuite, lui qui aurait aimé lui expliquer le fonctionnement de l'appareil. Puis il avait compris, une fois rentré chez lui, après une heure environ, qu'il s'était fait voler son iPhone.
Il avait alors pleuré, longuement pleuré, car un iPhone, ce n'était pas rien !... C'était un concentré de technologie !... Et il avait songé à nouveau à la scène, lui qui jusqu'ici, n'avait jamais subi d'agression, et qui savait qu'en France, quand les médias parlaient d'insécurité, ils affabulaient, et ils cherchaient à favoriser le racisme. Il s'était dit que sans doute, dévisageant ce black (Candide, qui était tolérant, ne disait jamais « noir », mais « black » ; il ne disait jamais « homosexuel », mais « gay » ; comme des millions de Français, il aimait beaucoup sa langue), il s'était dit que sans doute, dévisageant ce black, il l'avait mal regardé.
« Oui, c'est cela, il a dû me trouver insultant, et ayant tant souffert du racisme (même si objectivement, aux États-Unis, la situation est bien meilleure qu'en France), il est bien naturel qu'il ait réagi ainsi !... car je l'ai mérité !... Mais mon iPhone, tout de même !... mon iPhone tout neuf !... »
L'homme qui l'avait volé, Martin, qui était originaire du Surinam, en avait tiré un bon profit : il avait revendu l'appareil, le lendemain, pour deux cents dollars – lui également, c'était un homme normal, car il maximisait son utilité.
Et Candide, les heures passant, s'était raisonné : le prix d'un iPhone, en réalité, si l'on se basait sur son salaire fixe, correspondait à quatre heures de travail ; en travaillant le lundi matin, dès lors, il l'aurait remboursé. Ce lundi même, d'ailleurs, il avait racheté un iPhone, et il en avait profité.
Décidément, tout était au moins mal dans le moins mauvais des mondes !